Archive | février, 2011

Pourquoi le parlement congolais est-il soumis ?

4 Fév

Pourquoi le parlement congolais est-il soumis ?

Dr Fweley Diangitukwa, politologue et écrivain

http://www.fweley.wordpress.com

La première question que l’on se pose naturellement est celle de savoir : d’où vient l’idée d’avoir un Parlement ?

 

La révolution agricole et la révolution industrielle dans les pays européens

 

S’agissant du développement politique des pays occidentaux, Barrington Moore avance que ces pays ont amorcé leur développement grâce, en grande partie, à la manière dont a été assurée et contrôlée la commercialisation du surplus de produits rendu disponible par la révolution agricole. Pour Barrington Moore, la révolution agricole a constitué le prélude de la révolution industrielle dans les pays européens. Cette révolution agricole a commencé par la mutation technologique qui est partie de Hollande au XVIIe siècle et qui a finalement rencontré son terrain d’élection en Grande-Bretagne au cours du siècle suivant, avant de s’étendre sous des formes diverses et à des dates variables au reste de l’Europe. L’excès de production agricole a permis aux populations citadines de vaquer à d’autres occupations et à développer les nouvelles techniques industrielles, notamment dans le transport pour faciliter l’échange des marchandises.

 

L’Europe n’a quitté l’Etat absolutiste que lorsqu’une nouvelle élite a pris conscience

 

Pour Barrington Moore, les régimes parlementaires ou représentatifs auraient trouvé leur terreau le plus propice dans les pays où une élite capitaliste nouvelle, soit bourgeoise, soit bourgeoise et aristocratique à la fois, a été capable de s’assurer, face à l’Etat absolutiste, la maîtrise de la commercialisation du surplus ainsi créé par la révolution agricole. En revanche, dans les Etats où les élites étaient incapables de tirer profit du surplus, celles-ci étaient restées dépendantes de l’Etat et c’est dans ces pays que le ferment de l’autoritarisme a persisté.

 

Les deux voies du développement et l’émergence d’une structure politique parlementaire

 

S’agissant du développement économique des pays occidentaux, Alexander Gerschenkron et Karl De Schweinitz ont identifié deux phases du démarrage industriel. Gerschenkron qualifie l’une de ces deux voies de « libérale-textile ». Celle-ci se caractérise par la diffusion d’industries légères à la mesure des initiatives d’entrepreneurs de petite ou moyenne taille. Dans cette phase, l’Etat n’intervient guère en matière financière, commerciale ou sociale. Le contexte économique de cette percée industrielle qui crée l’autonomie des acteurs permet, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, l’émergence parallèle d’une structure politique parlementaire. En revanche, Karl De Schweinitz analyse la situation des pays dont l’industrialisation n’a pris l’essor véritable que pendant la deuxième phase de l’industrialisation lourde, dite « étatique-sidérurgique ». Dans ces pays, spécialement en Allemagne, en Italie, voire en France, le bouleversement industriel qui dépasse les moyens des entrepreneurs privés requiert leur subordination à l’Etat. Ce contexte ne favorise en rien la stabilisation d’un gouvernement parlementaire, dans la mesure où le dialogue entre les élites économiques et politico-administratives doit s’établir de façon immédiate, sans intermédiaire. Dans ces pays, la procédure électorale et représentative devient même gênante.

 

Le Parlement congolais ne remplit qu’une fonction esthétique

 

Jusqu’à présent, le Parlement congolais donne l’impression de ne servir qu’à travestir une réalité dans laquelle les parlementaires (députés) ne remplissent qu’une fonction esthétique, car les décisions politiques sont le produit d’alliance ou de compromis négociées en dehors de l’hémicycle. Tout montre que le Parlement congolais sert d’ornement sans être décisif sur la vie du peuple.

Pourquoi les parlementaires congolais échouent-ils et pourquoi échoueront-ils encore demain dans le processus de changement démocratique ? Pour répondre à cette question à première vue naïve et inutile mais en réalité pertinente et à haute portée stratégique et économique, il faut se référer aux travaux des historiens et politologues qui, comme Barrington Moore, Alexander Gerschenkron et Karl De Schweinitz, ont réfléchi et écrit sur le développement politique des nations en soulignant l’opposition entre les deux voies (parlementaire et autoritaire) qui ont conduit vers la modernité occidentale. Ces auteurs donnent indirectement des éléments de réponse conduisant à la compréhension du cas type congolais. Les parlementaires congolais sont des salariés de l’Etat, et à ce titre, ils n’ont pas les moyens de s’opposer durablement à leur employeur – l’Etat qui, en cas de désobéissance avérée leur coupe rapidement les moyens de subsistance en leur privant leur salaire. Cette volonté du pouvoir de s’attacher des députés en aliénant leur liberté d’esprit par le recours au numéraire hors pair – la députation est la catégorie sociale de la nation la mieux rémunérée – explique l’énormité de salaire des parlementaires par rapport aux fonctionnaires de l’Etat. Le député gagne 6’000 dollars (avec des avantages sociaux) tandis que le fonctionnaire de l’Etat a un salaire de moins de 100 dollars (sans aucun avantage social). Certes, les députés sont majoritairement du PPRD (dans sa composition avec l’AMP) et il est à croire qu’ils observent le consigne de leur parti. Mais, en réalité, la plupart d’entre eux n’ont pas de travail autre que leur qualité de député. C’est cette situation qui crée et renforce leur dépendance et leur soumission au réseau présidentiel.

Le parlement du Congo tend à devenir conservateur et peu enclin au changement dans le but de garantir ses acquis sociaux, autrement dit pour conserver ses avantages. Comment les députés peuvent-ils s’opposer durablement à celui qui leur paie un gros salaire et qui, comme l’a dit l’un des rois de France – Louis XIV pour le citer –, déclare ostensiblement : « L’Etat congolais, c’est moi ». Ce dernier va jusqu’à croire dans sa folie de grandeur que le peuple n’existerait pas sans lui, comme jadis le maréchal Mobutu qui aimait dire : « le Congo me doit tout » là où c’est plutôt lui qui devait tout au peuple congolais.

Dans un pays qui n’a connu ni révolution agricole ni révolution industrielle, où il n’y a pas création d’emplois et où nombreux députés n’ont d’autres opportunités que d’être des employés de l’Etat, il est difficile d’échapper à l’autoritarisme étatique.

La révision de la loi électorale (et donc de la Constitution) a clairement montré que le Parlement congolais ne constitue qu’une chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif. Le rôle des députés se réduit à applaudire ce que l’exécutif a décidé, car l’initiative des lois importantes et de leur révision ne vient pas du Parlement qui est incapable de contrôler efficacement et de sanctionner les détenteurs du pouvoir exécutif et les nombreux responsables politiques protégés par le réseau du pouvoir. Dans ces conditions, l’indépendance du Parlement est impensable ni la division traditionnelle du pouvoir entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Dans ces conditions également, on ne saurait garantir ni promouvoir une bonne gouvernance ni une gouvernance démocratique. Le respect de l’Etat de droit ne commence-t-il pas par le respect de l’indépendance du parlement ? Donc, dans le fait, le Parlement congolais est assujetti au pouvoir exécutif. On ne peut rien à attendre de lui. C’est pourquoi, il est incapable de stopper le climat de corruption, d’impunité qui règne dans le pays. Il ne peut pas contrôler librement les dirigeants et responsables de l’administration et des autres services publics.

 

Alors, comment changer cette réalité ?

 

Pour changer, à défaut d’être composé d’indépendants ayant chacun son travail (c’est-à-dire son gagne-pain) évitant aux députés de dépendre complètement de l’Etat, il est question d’inverser le raisonnement et de dire régulièrement sinon quotidiennement aux détenteurs du pouvoir que « L’Etat, c’est nous » et que « sans nous l’Etat n’existe pas ». En s’identifiant au peuple devenu détenteur d’une réelle souveraineté populaire, il devient possible de croire sinon d’espérer que les députés, du moins ceux qui ont en leur fort intérieur le sens du nationalisme, cultiveront l’altruisme en épousant la cause populaire. Ceux-ci cesseront d’être les salariés de l’Etat pour devenir les salariés du peuple ou les salariés de la République ou encore de la nation. Quant à ceux qui sont devenus parlementaires dans l’unique but de se servir, de se remplir les poches en soutenant aveuglément et, quelles que soient les circonstances, le pouvoir en place et qui oublient de défendre les intérêts du peuple, c’est peine perdue que de vouloir les dissuader de ne penser qu’à leur ventre et à leur survie.

 

Un Parlement de façade parce que la tête reçoit les ordres d’ailleurs

 

Le Parlement congolais est un Parlement de façade qui donne à voir. Il donne au peuple l’illusion d’avoir une institution qui a des attributs d’un vrai Parlement et aux députés l’illusion de remplir un devoir civique. N’est-ce pas qu’en politique, depuis Machiavel, l’apparence est une nécessité ? Un dictateur ressent toujours le besoin de paraître démocrate pour mieux endormir le peuple. A la place de la religion devenue partout l’opium du peuple, on abreuve et endort les citoyens par des discours et par des promesses fallacieuses parce que le pouvoir le juge naïf et sans aucun moyen d’organiser la résistance. C’est un parlementarisme spectacle dans lequel des députés parlent sans une grande conviction car ils savent que l’exécutif n’écoute pas et/ou n’a pas la volonté d’écouter un discours qui lui déplaît. Il est exact. Le pouvoir qui s’obtient par la négociation et non par le mérite se reconnaît plus dans les députés silencieux et « suiveurs » que dans les députés éloquents qui donnent à entendre et à méditer et qui défendent les thèses nationalistes dans les diatribes que le pouvoir ne voudrait et ne souhaiterait pas entendre, car elles éveillent la conscience collective.

 

Les parlementaires congolais sont des salariés de l’Etat au lieu d’être des salariés de la République

Les parlementaires congolais sont des salariés de l’Etat là où ils auraient dû être des salariés du peuple. Voilà pour quelle raison, ils ont prioritairement négocié leurs émoluments avec l’homme au pouvoir au lieu de les négocier avec le peuple, c’est-à-dire avec les citoyens-électeurs qui les avaient élus. Voilà pour quelle raison également ils ne peuvent pas négocier et obtenir la défense des intérêts du peuple. En un mot, le Parlement congolais ne remplit pas sa mission.

Cette réalité montre clairement que le changement ne viendra pas de ce Parlement mais d’ailleurs et qu’il faudrait se retourner vers le peuple qui doit être minutieusement informé sur les rouages et les stratégies mises en place par le réseau du pouvoir. Le peuple congolais doit être préparé au rôle qu’il va jouer dans le changement politique et économique du pays.

Il faut une grande prise de conscience des députés qui doivent cesser de se comporter comme des aventuriers. Les dossiers qu’ils traitent ne peuvent pas être pris à la légère, comme ils l’ont fait avec la révision de la Constitution. Etre député est une très lourde responsabilité, car chacun d’eux engage la vie des citoyens et détermine l’avenir de la nation. Les députés oublient cela parce qu’ils sont préoccupés par le numéraire (l’argent).

Donc, pour qu’il y ait un changement réel, il faut demain redéfinir le rôle et le mode de fonctionnement du Parlement afin de le voir œuvrer pour l’intérêt du peuple (en dehors de l’intérêt de survie des députés) ; à défaut, il faut compter sur le peuple qui doit lui-même opérer le changement utile pour la société tout entière.

Demain doit être différent d’aujourd’hui.

 

Ce texte a été rédigé en 2009 et relu le 03 février 2011.