LA LÉGITIMITÉ ET LA LÉGALITÉ SONT NÉCESSAIRES POUR EXERCER LE POUVOIR ET POUR ASSEOIR LA GOUVERNANCE
Par Fweley Dingitukwa, politologue et écrivain
Ce texte est une réponse aux non-politologues et aux non-juristes qui confondent l’emploi de ces deux concepts qui sont au centre de l’exercice du pouvoir. C’est un extrait d’un livre à paraître. Il ne doit pas être reproduit sans l’autorisation de l’auteur.
La légitimité est une autorisation donnée à un homme ou à une femme par le peuple ou par un groupe organisé pour le diriger sur la base des normes préalablement définies et acceptées par tous. Le concept de légitimité est souvent confondu avec celui de légalité. Olivier Duhamel et Yves Mény notaient dans leur Dictionnaire constitutionnel : « La légitimité doit être distinguée de la légalité qui est la conformité à la loi telle qu’elle est établie par les organes habilités alors que la légitimité est l’accord avec une exigence considérée comme supérieure »[1]. La légitimité apporte aux élus une autorité ou une autorisation de commander qu’ils tiennent de leur popularité, car « nul ne peut se prétendre autorité légitime s’il n’est reconnu comme tel. Ce qui fait la valeur irremplaçable de la légitimité, c’est donc qu’elle ne dépend pas de la volonté ni de la force de celui qui en jouit. Elle lui vient de l’extérieur et, par là, elle consolide le pouvoir en lui donnant une assise moins fragile que celle qu’il trouve dans les qualités personnelles de celui qui l’exerce »[2].
La légitimité est la capacité pour le détenteur du pouvoir de faire admettre ses décisions et la jouissance de cette capacité vient de la reconnaissance de son pouvoir ou de l’adhésion à son pouvoir par ceux qui ont élu celui qui est devenu une autorité, car en l’élisant, les citoyens ont confié à cette personne l’autorisation de les commander sur la base du droit qu’ils ont préalablement édicté. Grâce à cette légitimité, il devient difficile de s’opposer aux décisions du chef et à son pouvoir.
« Weber distingue trois sortes de fondements à la légitimité : traditionnel où l’obéissance tient à ce que l’autorité émane d’une autorité ancestrale ; charismatique (dans le charisme d’un homme providentiel) où l’on attribue au dominant un don exceptionnel ; légal-rationnel ou bureaucratique qui repose sur la croyance que l’ordre est donné en conformité à la loi positive. A ces trois types de domination correspondent trois régimes : monarchie, dictature, parlementarisme rationalisé, et trois sortes d’élite : anciens, prophètes et fonctionnaires »[3]. D’après ce sociologue, des trois sources (le pouvoir traditionnel, charismatique et légal-rationnel) seule la dernière permet à une organisation moderne de se développer harmonieusement. Donc, pour commander une société, il faut préalablement légitimer l’exercice de son pouvoir afin de créer une relation de confiance qui supprime la relation précédente basée sur la subordination.
Il est important de rappeler la confusion souvent commise par un grand nombre de politiciens non-spécialistes du droit et/ou de science politique entre la notion de légitimité et celle de légalité. Si la légalité relève avant tout du droit et signifie « caractère de ce qui est conforme au droit (et) s’applique soit au régime ou gouvernement légitime fonctionnant selon les règles de droit, établies à cet effet (textes ayant valeur constitutionnelle), soit aux actes des autorités qui doivent être conformes au droit (décision et exécution dans le cas des actes administratifs) »[4], en revanche, la légitimité[5] relève de la science politique et se distingue de la notion juridique de légalité. La légitimité implique « la conformité au droit, mais suppose de plus l’acceptation et la reconnaissance du droit de commander du pouvoir en place par les membres d’une société »[6]. En d’autres termes, « la légitimité est la qualité qui s’attache à un pouvoir dont l’idéologie, les sources d’inspiration et les critères de références font l’objet d’une adhésion très majoritaire de la part des gouvernés »[7]. Pour que les lois et les décisions des autorités politiques ne soient pas contestées, il faut que celles-ci suivent scrupuleusement le processus de leur légitimation (processus par lequel un pouvoir est reconnu et accepté par l’ensemble du groupe social), autrement, les lois et les décisions prises par des autorités illégitimes peuvent être contestées par le peuple et elles peuvent devenir des sources réelles de conflits sociaux.
« Dans les États modernes, c’est le rôle du suffrage universel d’investir les représentants élus tout à la fois de la compétence juridique de dire le droit, et de l’autorité qui s’attache à la qualité de mandataire du Peuple. La légalité d’une procédure confère ainsi une présomption (plus ou moins solide il est vrai, plus ou moins générale aussi) de légitimité »[8]. Parfois, « un pouvoir issu d’un coup d’État, peut au bout d’un certain temps devenir légitime »[9], cela signifie que les autorités issues du coup d’État ont fini par convaincre le peuple du bien-fondé de leur coup de force en se conformant aux exigences du droit en vigueur dans le pays. Donc, la légitimité relève de l’acceptation des autorités politiques par la partie majoritaire du peuple.
La légalité exige une conformité aux règles du droit positif[10], tandis que la légitimité nécessite, en plus de cela, l’acceptation préalable des prétendants au pouvoir par le peuple afin que cette adhésion populaire aux nouvelles autorités politiques entraîne un consentement rationnel et continuel, ainsi qu’une acceptation implicite d’être commandés par des politiciens que les citoyens ont eux-mêmes choisis, mais également l’obligation de leur obéir lorsqu’ils prennent des décisions conformes aux lois de la République. La légitimité implique ipso facto l’obéissance des individus, dans le cas contraire, elle entraîne la contestation du pouvoir, c’est-à-dire de l’autorité qui s’est frauduleusement emparée du pouvoir qu’il n’a pas mérité.
Parce que l’homme né libre est capable d’enfreindre la liberté des autres, la société a créé l’ordre social pour éviter l’anarchie qui pourrait naître des abus de libertés individuelles mal exercées ou mal revendiquées. L’ordre social ne vient pas de la nature, il est le résultat d’un travail séculaire qui a abouti à l’élaboration des conventions structurées et à des normes, afin de standardiser les comportements des citoyens. En privant les hommes de leur liberté originelle, la société a créé de nouvelles libertés plus codées et plus standardisées, sans porter atteinte aux libertés fondamentales de l’homme, car « les limites non voulues deviennent des chaînes ; les limites ne peuvent devenir légitimes que si elles résultent de la volonté humaine »[11].
En guise de conclusion et conformément au texte ci-dessus, un chef qui n’a pas de légitimité populaire ne peut pas commander car il va constamment et incontestablement rencontrer de la résistance de la part du peuple qui ne l’a pas élu. Pour cette raison, les démocraties d’origine occidentale organisent des élections transparentes au suffrage universel direct. En cas de tricherie ou des fraudes, le peuple qui octroie la légitimité conteste les résultats. Si le fraudeur s’empare du pouvoir par la force pour défier la population, le pays entre dans l’anarchie, dans l’instabilité, jusqu’à ce que l’ordre soit rétabli.
[1] Olivier Duhamel et Yves Mény, Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p. 565. « La légitimité peut donc être invoquée contre la légalité : le général de Gaulle entendait incarner la légitimité nationale face au régime de Vichy. Ainsi la référence à la légitimité prend appui sur un ordre supérieur : Socrate boira la ciguë car le respect des lois de la Cité lui impose de respecter la légalité même inique. Sur un mode moins spéculatif, Platon soutient dans Le Politique que le politique véritable est guidé par son art et n’est pas tenu d’obéir à la lettre de la loi, car les constitutions écrites sont des imitations de la vérité dont celui qui possède la science politique peut s’affranchir. Mais la foule et les individus ordinaires doivent se plier aux codes écrits. On a donc des niveaux de légitimité : la légitimité de la constitution écrite vaut pour tous, sauf pour le politique compétent dont la légitimité lui vient de sa connaissance du vrai », op. cit., p. 565.
[2] Georges Burdeau, L’État, Paris, Seuil, 1970, p. 45.
[3] Olivier Duhamel et Yves Mény, Dictionnaire constitutionnel, op. cit., p. 565.
[4] Lexique des sciences sociales, 6e édition, Paris, Dalloz, 1994, p. 243.
[5] « Longtemps identifiée à la légalité, la légitimité a dû s’en distinguer dès lors que l’histoire a fait la preuve qu’un ordre pouvait être légal mais injuste. La contribution de M. Weber à l’analyse des fondements de la légitimité a gardé toute sa valeur grâce à son caractère systématique. Partie intégrante d’une sociologie de la domination, sa typologie des modes et sources de la légitimité montre à quel point pouvoir, légitimité et autorité sont liés entre eux. Weber distingue trois sources de domination légitime. La première, légitimité à caractère rationnel-légal, a pour fondement la croyance dans la légalité des règles établies et dans la légitimité de ceux qui assurent cette domination conformément à la loi. La seconde, légitimité à caractère traditionnel, repose sur la croyance dans le caractère sacré des coutumes et dans la légitimité des gouvernants désignés par ces dernières. La troisième enfin, légitimité de type charismatique, trouve sa source dans la croyance aux qualités exceptionnelles d’un individu et en la nécessité de se soumettre à l’ordre qu’il a créé. Ainsi, il met au jour les relations d’influence réciproque entre types de croyances, formes d’organisation et système économique et il montre que la nature des justifications du pouvoir ne peut être étudiée en dehors de toute référence aux structures sociales.
« Si cependant la légitimité est une condition primordiale de la stabilité des systèmes politiques, son caractère à la fois subjectif et relatif impose la compréhension des processus par lesquels elle s’acquiert, se maintient ou se défait, autrement dit la prise en considération des problèmes de légitimation. L’étude de la socialisation politique a constitué une des voies indirectes d’approche de la légitimation dans la mesure où elle permet de mieux saisir les mécanismes qui rendent le pouvoir acceptable. En fait, la légitimation peut être appréhendée plus directement sous l’angle inverse de la crise de légitimité tant il est vrai que d’un point de vue analytique et historique, le concept de légitimité s’applique avant tout à des situations où la légitimité d’un ordre politique peut être contestée. Ainsi, une part significative de l’œuvre de J. Habermas (1973) est consacrée à l’étude des crises de légitimation en rapport avec des transformations structurelles de l’État du ‘capitalisme avancé’ ; l’expansion de son activité augmente d’autant les besoins de légitimation qui ne peuvent plus seulement se réduire à un accord sur les règles concernant la dévolution et l’exercice du pouvoir, mais s’étendent à l’ensemble du système politico-administratif, l’efficacité devenant elle-même critère de légitimité », in Dictionnaire de Sociologie, Paris, Larousse-VUEF 2003, pp. 132-133.
[6] Lexique des sciences sociales, Paris, Dalloz, 6e édition 1994, p. 244.
[7] Pierre Pactet, Institutions politiques et Droit constitutionnel, Paris, A. Colin, 15e édition, 1997, p. 71.
[8] Philippe Braud, Sociologie politique, Paris, L.G.D.J, 1994, p. 42.
[9] Lexique des sciences sociales, 6e édition, op. cit., p. 244.
[10] En droit positif, le pouvoir est imposé et obtenu à travers les actes unilatéraux comme les lois, les décrets, les arrêtés, etc. qui sont des actes de puissance publique par excellence, dans ce sens qu’ils mettent en œuvre le pouvoir d’État.
[11] Dictionnaire de la pensée politique, Paris, Hatier, 1989, p. 443.