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RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO, 1993-2003
Rapport Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo 2010
Résumé du Rapport Mapping (ONU) présenté par Dr Fweley Diangitukwa, politologue et écrivain
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Le Rapport Mapping se veut un premier pas vers un exercice de vérité parfois douloureux mais combien nécessaire. Il offre quelques options afin d’inspirer les acteurs congolais et internationaux impliqués dans la difficile tâche de redresser l’édifice de la justice, qui fait face à de multiples défis. Il plaide pour un engagement renouvelé des autorités à redonner à la justice sa place en tant que l’un des piliers fondamentaux de la démocratie congolaise. Finalement, il regarde vers l’avenir en formulant différentes options que pourrait emprunter la société congolaise pour composer avec son passé, lutter contre l’impunité et faire face au présent à l’abri du danger de voir se répéter tant d’horreurs.
Ce Rapport poursuit non seulement le but de dénoncer les crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis sur le territoire congolais mais il poursuit aussi un second but de fournir aux autorités congolaises les outils nécessaires pour entamer la lutte contre l’impunité, tout en évaluant les moyens dont le système national de justice congolais dispose pour traiter ces violations et de formuler différentes options possibles de mécanismes appropriés de justice transitionnelle qui permettraient de lutter contre l’impunité régnant en RDC.
Le but ultime de cet inventaire, mis à part sa contribution historique à la documentation de ces graves violations et à l’établissement des faits survenus durant cette période, consiste à fournir aux autorités congolaises des éléments pour les aider à décider de la meilleure approche à adopter pour rendre justice aux nombreuses victimes et combattre l’impunité qui sévit à cet égard. Mais si les autorités politiques congolaises, déjà au courant de ces crimes et violences n’ont jamais agi, vont-elles agir après la publication de ce rapport ? Il est difficile de le croire.
Historique et mandat
Tout a commencé avec la découverte par la Mission de l’Organisation des Nations Unies (MONUC) de trois fosses communes dans le Nord-Kivu à la fin de 2005. Cela s’est imposée comme un douloureux rappel que les graves violations des droits de l’homme commises dans le passé en République démocratique du Congo (RDC) demeuraient largement impunies et fort peu enquêtées.
Le Projet Mapping[1] a commencé officiellement le 17 juillet 2008 avec l’arrivée de son Directeur à Kinshasa. Il ne s’agissait pas de se livrer à des enquêtes approfondies ou d’obtenir des preuves qui seraient admissibles comme telles devant un tribunal, mais plutôt de « fournir les éléments de base nécessaires pour formuler des hypothèses initiales d’enquête en donnant une idée de l’ampleur des violations, en établissant leurs caractéristiques et en identifiant les possibilités d’obtention de preuve ».
Pour identifier les « crimes les plus graves » qui feront l’objet de poursuites », à partir d’une échelle de gravité, une sélection des incidents les plus graves s’imposait. Les critères utilisés se divisent en quatre catégories: 1) la nature des crimes et violations révélés par l’incident, 2) l’étendue (le nombre) des crimes et violations révélés par l’incident, ainsi que le nombre de victimes, 3) la façon dont les crimes et violations ont été commis et 4) l’impact des crimes et violations qui ont été commis sur une communauté, une région ou le cours des événements.
Le Rapport dit : toute information obtenue sur l’identité des auteurs présumés de certains des crimes répertoriés n’apparaît pas dans le présent rapport mais est consignée dans la base de données confidentielle du Projet remise à la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. En gardant une certaine confidentialité des auteurs des crimes les plus graves, l’ONU n’aide pas vraiment le peuple congolais à aller de l’avant car les criminels qui sont encore au pouvoir dissimulent les crimes qu’ils ont commis et ils pourront se présenter aux élections sans qu’ils se reprochent quoi que ce soit publiquement. Cette méthode a des limites.
782 incidents violents ont été répertoriés dans la base de données entre mars 1993 et juin 2003 s’appuyant sur au moins deux sources indépendantes identifiées dans le rapport. Une chronologie par province des principaux violents incidents a été établie. Plus de 1 280 témoins ont été rencontrés en vue de confirmer ou d’infirmer les violations répertoriées dans la chronologie. La contribution des ONG congolaises était indispensable.
La période couverte, de mars 1993 à juin 2003, constitue probablement l’un des chapitres les plus tragiques de l’histoire récente de la RDC. Ces dix années ont, en effet, été marquées par une série de crises politiques majeures, de guerres et de nombreux conflits ethniques et régionaux qui ont provoqué la mort de centaines de milliers, voire de millions, de personnes.
Les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis sur le territoire congolais sont imputables aux acteurs majeurs de la région des Grands Lacs qui sont au pouvoir au Rwanda, en Ouganda et en RD Congo. Il est à rappeler que Paul Kagame, l’actuel président du Rwanda, est l’un des commanditaires de la guerre contre l’ex-Zaïre et que ses deux principaux exécutants militaires à la tête de l’AFDL et de l’APR (armée patriotique rwandaise) étaient James Kabarebe et le Commandant Hyppo. ue James Kabarebe, actuel Ministre de la défense au Rwanda, a été chef d’état-major de l’armée congolaise après la prise de pouvoir par Laurent-Désiré Kabila et que Joseph Kabila, aujourd’hui Président de la RD Congo, n’est autre que le commandant Hyppo, susmentionné, qui fut le bras droit de James Kabarebe pendant la guerre. Ces trois hommes dirigeaient les opérations militaires de l’AFDL/APR durant les crimes et le génocide (qui doit être établi par un Tribunal pénal) dénoncés dans le rapport Mapping du Haut Commissariat aux droits de l’homme. Ils sont, de ce fait, les principaux responsables des violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la RD Congo.
Le Mapping est divisé en trois étapes.
A. Mars 1993–juin 1996 : échec du processus de démocratisation et crise régionale. 40 incident répertoriés concentrés pour l’essentiel au Katanga, au Nord-Kivu et dans la ville province de Kinshasa.
B. Juillet 1996–juillet 1998 : première guerre et régime de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL). 238 + 104 (= 342) incidents répertoriés avec une importance du rôle des États tiers dans la première guerre et leur implication directe dans cette guerre qui a mené au renversement du régime de Mobutu. Le Rapport précise que l’AFDL a été constitué à Kigali et la guerre sur le territoire congolais a été conduite sous une coalition AFDL/APR. Le Rwanda était pleinement impliqué dans la guerre et a participé dans les crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sur le territoire congolais. Le rapport ne met aucun doute là-dessus. «…la logistique étaient fournis par l’Armée patriotique rwandaise[2] (APR), par la « Uganda People’s Defence Force » (UPDF) et par les Forces armées burundaises (FAB) à travers tout le territoire congolais ».
C. Août 1998–janvier 2000 : deuxième guerre
Comprise entre le déclenchement de la deuxième guerre, en août 1998, et la mort du Président Kabila, cette période comporte 200 incidents et est caractérisée par l’intervention sur le territoire de la RDC des forces armées régulières de plusieurs États, combattant avec les Forces armées congolaises (FAC) [Zimbabwe, Angola et Namibie] ou contre elles, en plus de l’implication de multiples groupes de miliciens et de la création d’une coalition regroupée sous la bannière d’un nouveau mouvement politico-militaire, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), qui se scindera à plusieurs reprises. Durant cette période la RDC fut la proie de plusieurs conflits armés : « Certains (…) internationaux, d’autres internes et (…) des conflits nationaux qui ont pris une tournure internationale.
Au moins huit armées nationales et 21 groupes armés irréguliers prennent part aux combats Malgré la signature à Lusaka, le 10 juillet 1999, d’un accord de cessez-le-feu entre toutes les parties[3] prévoyant le respect du droit international humanitaire par toutes les parties et le retrait définitif de toutes les forces étrangères du territoire national de la RDC, les combats ont continué tout comme les graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire par toutes les parties au conflit. Le 16 juin 2000, le Conseil de sécurité, dans sa résolution 1304 (2000), a demandé à toutes les parties de cesser les combats et exigé que le Rwanda et l’Ouganda se retirent du territoire de la RDC dont ils avaient violé la souveraineté. Il faudra pourtant attendre 2002, suite à la signature de deux nouveaux accords, celui de Pretoria avec le Rwanda et celui de Luanda avec l’Ouganda, pour que s’amorce le retrait des ces forces étrangères du pays.
Pendant cette période, la population civile en général a été victime de graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire par toutes les parties aux conflits et sur tout le territoire, mais particulièrement au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, en province Orientale, notamment en Ituri, au Katanga, en Équateur ainsi qu’au Bas-Congo.
Une réflexion s’impose. Pendant cette période, James Kabarebe et le commandant Hyppo, c’est-à-dire l’actuel président de la RD Congo, Joseph Kabange Kabila, étaient à la tête de l’AFDL et de la branche de l’APR envoyée par Paul Kagame sur le territoire congolais pour combattre aux côtés de l’AFDL. Ceci revient à dire que ces trois personnes sont les premiers responsables des crimes commis sur le territoire congolais (voir ce que j’ai dit plus haut).
D. Janvier 2001–juin 2003 : vers la transition. 139 incidents répertoriés pour cette dernière période. Les violences qui ont secoué la province de l’Ituri, notamment les conflits ethniques entre les Lendu et les Hema, ont atteint un seuil d’intensité inconnu jusqu’alors. La période a été marquée par un conflit ouvert entre les Forces armées congolaises (FAC) et les forces Mayi-Mayi dans la province du Katanga.
Crimes de guerre
On entend généralement par ce terme toutes violations graves du droit international humanitaire commises à l’encontre de civils ou de combattants ennemis à l’occasion d’un conflit armé international ou interne, violations qui entraînent la responsabilité pénale individuelle de leurs auteurs. Ces crimes découlent essentiellement des Conventions de Genève du 12 août 1949 et de leurs Protocoles additionnels I et II de 1977 et des Conventions de La Haye de 1899 et 1907.
Crimes contre l’humanité
La définition de ce terme a été codifiée au paragraphe 1 de l’article 7 et l’article 8 du Statut de Rome de la CPI de 1998. Lorsque des actes tels que le meurtre, l’extermination, le viol, la persécution et tous autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale sont commis « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque », ils constituent des crimes contre l’humanité.
Le présent rapport montre que la grande majorité des incidents répertoriés s’inscrit dans le cadre d’attaques généralisées ou systématiques, dépeignant de multiples actes de violence de grande ampleur, menés de manière organisée et ayant causé de nombreuses victimes. La plupart de ces attaques ont été lancées contre des populations civiles non combattantes composées en majorité de femmes et d’enfants. En conséquence, la plupart des actes de violence perpétrés durant ces années, qui s’inscrivent dans des vagues de représailles, des campagnes de persécution et de poursuite de réfugiés, se sont généralement transposées en une série d’attaques généralisées et systématiques contre des populations civiles et pourraient ainsi être qualifiées de crimes contre l’humanité par un tribunal compétent.
Crime de génocide
On la trouve à l’article 6 du Statut de Rome, qui définit le crime de génocide « comme des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». La Convention prévoit également que sont punissables non seulement l’exécution en tant que telle, mais aussi l’entente en vue de commettre le génocide, l’incitation directe et publique, la tentative et la complicité. C’est l’intention spécifique de détruire un groupe mentionné en tout ou en partie qui distingue le crime de génocide du crime contre l’humanité.
La question de savoir si les nombreux graves actes de violence commis à l’encontre des Hutu (réfugiés et autres) constituent des crimes de génocide a soulevé de nombreux commentaires et demeure irrésolue jusqu’à présent. De fait, elle ne pourra être tranchée que par une décision judiciaire basée sur une preuve ne laissant subsister aucun doute raisonnable. À deux reprises, en 1997 et en 1998, des rapports de l’Organisation des Nations Unies ont examiné s’il existait ou non des crimes de génocide commis à l’encontre des Hutu réfugiés et autres réfugiés au Zaïre devenu la RDC. Dans les deux cas, les rapports ont conclu qu’il existait des éléments qui pouvaient indiquer qu’un génocide avait été commis mais, au vu du manque d’informations, les équipes d’enquête n’ont pas été en mesure de répondre à la question et ont demandé qu’une enquête plus approfondie soit menée.
Plusieurs incidents répertoriés semblent confirmer que les multiples attaques visaient les membres du groupe ethnique hutu comme tel, et non pas seulement les criminels responsables du génocide commis en 1994 à l’égard des Tutsi au Rwanda et qu’aucun effort n’avait été fait par l’AFDL/APR pour distinguer entre les Hutu membres des ex-FAR et les Hutu civils, réfugiés ou non.
L’intention de détruire un groupe en partie est suffisante pour constituer un crime de génocide et les tribunaux internationaux ont confirmé que la destruction d’un groupe peut être limitée à une zone géographique particulière. On peut donc affirmer que, même si seulement une partie du groupe ethnique hutu présent au Zaïre a été ciblée et détruite, cela pourrait néanmoins constituer un crime de génocide si telle était l’intention des auteurs. Plusieurs incidents répertoriés dans ce rapport révèlent des circonstances et des faits à partir desquels un tribunal pourrait tirer des inférences de l’intention de détruire en partie le groupe ethnique hutu en RDC, s’ils sont établis hors de tout doute raisonnable.
Une réflexion s’impose : différents rapports indiquent que le nombre de Hutu qui ont fui le Rwanda en 1994 était entre 800’000 et 1’000 000. Or, il est de plus en plus admis que la RD Congo a perdu plus de cinq voire six millions de victimes. Ceci signifie que c’est finalement la RD Congo qui a payé le plus lourd tribut dans ce génocide.
Parmi les victimes, il y avait une majorité d’enfants, de femmes, de personnes âgées et de malades, souvent sous-alimentés, qui ne posaient aucun risque pour les forces attaquantes.
De nombreuses atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ont été également commises, avec un nombre très élevé de Hutu blessés par balle, violés, brûlés ou battus. La nature systématique, méthodologique et préméditée des attaques répertoriées contre les Hutu ressort également : ces attaques se sont déroulées dans chaque localité où des réfugiés ont été dépistés par l’AFDL/APR sur une très vaste étendue du territoire. La poursuite a duré des mois, et à l’occasion, l’aide humanitaire qui leur était destinée a été sciemment bloquée, notamment en province Orientale, les privant ainsi d’éléments indispensables à leur survie. Ainsi les attaques systématiques et généralisées décrites dans le présent rapport révèlent plusieurs éléments accablants qui, s’ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide.
Parmi les actes de violence spécifiques commis pendant les conflits en RDC, les enquêteurs soulignent la violence sexuelle, la violence à l’égard des enfants. En cette matière, les femmes et les filles ont payé un tribut particulièrement lourd au cours de la décennie 1993-2003. La violence en RDC s’est en effet accompagnée d’un usage systématique du viol et des agressions sexuelles par toutes les forces combattantes. Le présent rapport met en évidence le caractère récurrent, généralisé et systématique de ces phénomènes. Cela résulte du manque d’accès à la justice par les victimes et de l’impunité qui a régné pendant ces dernières décennies. Du fait de cette impunité quasi-totale, le phénomène de la violence sexuelle perdure jusqu’à aujourd’hui, même dans les zones où les combats ont cessé, et s’accentue là où les conflits se poursuivent.
Les enfants n’ont pas échappé aux vagues de violence, ils en ont souvent été les premières victimes. Il y a eu l’emploi généralisé par toutes les parties aux conflits d’enfants associés aux forces et groupes armés (EAFGA), ce qui fait de la RDC l’un des pays au monde le plus affecté par ce phénomène.
Il est essentiel de poursuivre d’abord les dirigeants politiques et militaires responsables pour les crimes commis par les EAFGA placés sous leurs ordres selon le principe de la supériorité hiérarchique et de la personne la plus responsable, ainsi que d’enquêter pour établir dans quelle mesure les enfants ont agi sous la contrainte ou l’influence de leurs supérieurs adultes.
C. Inventaire des actes de violence liés à l’exploitation des ressources naturelles
La lutte entre les différents groupes armés pour le contrôle des richesses de la RDC a servi de toile de fond à nombre de violations perpétrées à l’encontre des populations civiles.
Premièrement, ces violations ont été commises dans le cadre de la lutte pour l’accès et le contrôle des zones les plus riches, deuxièmement, les violations ont été commises par les groupes armés lorsqu’ils ont occupé durablement une zone économiquement riche et, troisièmement, les immenses profits tirés de l’exploitation des ressources naturelles qui ont été un moteur et une source de financement des conflits et qui sont en eux-mêmes source et cause des violations les plus graves.
Le présent rapport conclut qu’il ne fait aucun doute que l’abondance des ressources naturelles en RDC et l’absence de réglementation et de responsabilité dans ce secteur a créé une dynamique particulière qui a manifestement contribué directement aux violations généralisées ainsi qu’à leur perpétuation et que des compagnies étatiques ou privées, nationales et étrangères, portent une responsabilité dans la commission de ces crimes.
Réflexion : la RDC est liée par les plus importantes conventions en matière de droits de l’homme et de droit international humanitaire auxquelles elle a adhéré. Mais force est de constater que les juridictions militaires qui ont compétence pour juger toutes personnes responsables des crimes internationaux commis sur le territoire de la RDC entre 1993 et 2003 ne l’ont jamais fait. On doit admettre qu’elles ne le feront pas après la publication de ce Rapport car ils sont eux-mêmes concernés des crimes cités dans le rapport.
Seulement une douzaine d’affaires depuis 2003 ont été traitées par les juridictions congolaises de faits qualifiés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Qui plus est, seulement deux de ces affaires concernent des incidents couverts par le présent rapport, soit l’affaire d’Ankoro, un jugement du 20 décembre 2004 sur des incidents survenus au Katanga en 2002, et l’affaire des Milobs, un jugement du 19 février 2007 sur des incidents survenus en Ituri en mai 2003.
Des enquêtes bâclées et douteuses, des actes judiciaires mal rédigés ou insuffisamment motivés, des décisions irrationnelles, des violations des droits de la défense et immixtions diverses des autorités civiles et militaires dans le processus judiciaire sont les tares qui ont caractérisé plusieurs de ces décisions, notamment dans les affaires d’Ankoro, Kahwa Mandro, Kilwa et Katamisi.
Le manque de volonté politique de poursuivre les graves violations du droit international humanitaire commises en RDC est également confirmé par le fait que la grande majorité des décisions rendues l’ont été suite à des pressions constantes de la MONUC et d’ONG.
Cette léthargie de la justice congolaise par rapport aux crimes de guerre et crimes contre l’humanité, notamment à l’égard des principaux responsables, n’a fait qu’encourager la commission de nouvelles violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui perdurent jusqu’à ce jour.
Cette réalité conclut à une incapacité du système de justice congolais de traiter adéquatement des crimes internationaux commis sur son territoire.
Le système judiciaire congolais est mal en point, voire dans un « état déplorable ». Passablement affaibli sous le régime de Mobutu, il a été durement éprouvé par les différents conflits qui ont ravagé la RDC depuis plus de dix ans. Le système de justice congolais souffre d’importantes carences structurelles et chroniques. En plus, les juridictions congolaises ont peu de moyens d’obtenir la comparution de suspects résidant hors du pays.
Force est de conclure que les moyens dont dispose la justice congolaise pour mettre fin à l’impunité pour les crimes internationaux sont nettement insuffisants. A cela s’ajoute le fait qu’un grand nombre de hauts responsables des groupes armés parties aux conflits sont impliqués dans les différentes violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire.
Il faut donc admettre qu’il est urgent de réhabiliter le système judiciaire, réformer le droit congolais et instaurer de nouvelles institutions favorisant un plus grand respect des obligations internationales de la RDC en matière de justice et de lutte contre l’impunité, afin de restaurer les victimes dans leurs droits et leur dignité, de garantir la non-répétition des violations des droits de l’homme, de consolider la démocratie et une paix durable. Sans ce travail préalable, il sera difficile de jeter les bases d’une réconciliation nationale.
La RDC ne peut échapper aux obligations qui lui incombent en vertu du droit international, à savoir poursuivre les crimes internationaux commis sur son territoire, non plus qu’elle ne peut ignorer les nombreuses victimes congolaises qui ne cessent de réclamer justice pour les dommages subis.
Les violations atteignant le seuil des crimes internationaux sont tellement nombreuses qu’aucun système judiciaire fonctionnant au mieux de ses capacités ne pourrait traiter autant de cas. Les crimes graves et leurs auteurs se comptent par dizaines de milliers, leurs victimes par centaines de milliers. En pareil cas, il importe d’établir un ordre de priorité en matière de poursuites pénales et de se concentrer sur « ceux qui portent la plus grande responsabilité ». Or la poursuite des « personnes les plus responsables » exige une justice indépendante, capable de résister aux interventions politiques et autres, ce qui n’est certes pas le cas du système judiciaire congolais actuel, dont l’indépendance demeure gravement compromise et malmenée. Le renforcement et la réhabilitation du système judiciaire interne sont primordial.
Un mécanisme judiciaire mixte composé de personnel international et national serait le plus approprié pour rendre justice aux victimes de violations graves.
Le déchaînement de violence conduit à penser à l’existence d’une politique délibérée de s’attaquer à certaines catégories de personnes pour des motifs ethniques, politiques ou liés à la nationalité. L’utilisation systématique de la violence sexuelle qui perdure encore aujourd’hui doit être examinée de façon particulière.
Question : pour quelle raison le président Paul Kagame n’a jamais été poursuivi publiquement depuis le temps qu’il a commencé à commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité en RD Congo ? Doit-on penser qu’il bénéficiait d’une complicité au plan international ?
Il y a un réel climat de méfiance qui persiste en RDC (de la part de la population civile et entre les différentes parties envers les autorités), or l’établissement de la vérité est une condition essentielle à une transition paisible vers un pays où règne la primauté du droit.
En appliquant la procédure d’assainissement (vetting), « les fonctionnaires de l’État qui sont personnellement responsables de violations flagrantes des droits de l’homme, en particulier ceux de l’armée, des services de sécurité, de la police, des services de renseignements et du corps judiciaire, ne doivent plus exercer leurs fonctions au sein des institutions de l’État ».
De nombreux responsables de violations graves des droits de l’homme se trouvent dans des institutions étatiques suite aux accords de paix. Cette présence dans les institutions, notamment dans l’armée, leur permet d’empêcher ou de freiner toute initiative de justice transitionnelle voire, le cas échéant, de menacer ou simplement décourager de potentiels témoins et victimes.
Le Conseil de sécurité considère une telle mesure nécessaire pour briser le cycle d’impunité qui entoure les forces de sécurité en RDC depuis toujours, et qu’une véritable réforme du secteur de la sécurité ne saurait aboutir à des résultats durables sans mesures d’assainissement.
Toutes ces raisons plaident pour la constitution d’un Tribunal pénal pour le Congo.
Cette Cour va jouer un rôle très important dans la lutte contre l’impunité en RDC. Ainsi, devant l’absence de progrès dans la lutte contre l’impunité en RDC, il apparaît primordial que la CPI maintienne, voire accroisse son engagement. La CPI devrait s’intéresser particulièrement aux crimes les plus graves qui pourraient difficilement faire l’objet de poursuites en RDC en raison de leur complexité, comme par exemple les réseaux de financement et d’armement des groupes impliqués dans les crimes. Les personnes impliquées dans ces activités bénéficient d’appuis politiques, militaires ou économiques et se trouvent parfois à l’extérieur du territoire de la RDC, hors de portée de la justice nationale. Il apparaît donc important que le Procureur de la CPI accorde une attention particulière à ces cas afin qu’ils n’échappent pas à la justice.
Il serait même possible d’envisager la poursuite de certaines compagnies privées, nationales ou étrangères ou étatiques ayant illégalement acheté les ressources naturelles de la RDC, en vue d’obtenir des compensations qui seraient versées à un mécanisme de réparation.
Conclusion
La question de savoir si les nombreux actes de violence graves commis à l’encontre des Hutu en 1996 et 1997 constituent des crimes de génocide a été examinée et le rapport souligne qu’il existe des éléments pouvant indiquer qu’un génocide a été commis mais que la question ne pourra être tranchée que par un tribunal compétent, statuant au cas par cas.
En terme de justice, la réaction des autorités congolaises devant cette avalanche de crimes graves commis sur son territoire s’est avérée minime, voire inexistante. Ce peu d’engagement des autorités congolaises à poursuivre les responsables des sérieuses violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises en RDC n’a fait qu’encourager la commission de nouvelles violations graves qui perdurent jusqu’à ce jour.
Pour mettre fin à l’impunité, il est indispensable que les personnes responsables de violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire soient traduites en justice, en liaison étroite avec les organismes compétents des Nations Unies, afin de permettre aux nombreuses victimes d’obtenir justice et de combattre ainsi l’impunité généralisée.
Si l’objectif du Projet Mapping n’était pas d’établir ou de tenter d’établir la responsabilité pénale individuelle de certains acteurs, mais plutôt d’exposer clairement la gravité des violations commises dans le but d’inciter une démarche visant à mettre fin à l’impunité et d’y contribuer, il faut maintenant aller plus loin en créant un Tribunal pénal pour le Congo. Après avoir dénoncé, il faut maintenant rendre justice aux victimes qui attendent.
Si le Tribunal pénal pour le Congo n’est pas constitué, ce rapport n’aura servi à rien. Ce sera un échec qui aura suscité un vain espoir et les financiers auront jeté leur argent à la fenêtre. Puisque les rapporteurs ont souvent utilisé le conditionnel, seul un Tribunal pénal arrivera à qualifier ces crimes. Pour cette raison, la constitution d’un tel Tribunal s’impose. Mais doit-il s’intéresser aux vrais criminels encore et toujours en circulation et en plus au pouvoir.
[1] Les traductions françaises du terme « Mapping », étant soit « cartographie », « inventaire » ou « état des lieux » et ne reflétant pas exactement l’étendu du mandat du Projet Mapping, l’Équipe a décidé de garder le terme générique anglais pour désigner le présent projet.
[2] Dans une interview accordée au Washington Post le 9 juillet 1997, le Président rwandais Paul Kagame (Ministre de la défense à l’époque) a reconnu que des troupes rwandaises avaient joué un rôle clef dans la campagne de l’AFDL. Selon le Président Kagame, le plan de bataille était composé de trois éléments: a démanteler les camps de réfugiés, b détruire la structure des ex-FAR et des Interahamwe basés dans les camps et autour des camps et c renverser le régime de Mobutu. Le Rwanda avait planifié la rébellion et y avait participé en fournissant des armes et des munitions et des facilités d’entraînement pour les forces rebelles congolaises. Les opérations, surtout les opérations clefs, ont été dirigées, selon Kagame, par des commandants rwandais de rang intermédiaire (« Mid-level commanders »). Washington Post, « Rwandans Led Revolt in Congo », 9 juillet 1997. Voir également l’entretien accordé par le général James Kabarebe, l’officier rwandais qui a dirigé les opérations militaires de l’AFDL, à l’Observatoire de l’Afrique centrale : « Kigali, Rwanda. Plus jamais le Congo », Volume 6, numéro 10 du 3 au 9 mars 2003. Voir également les interviews télévisées du Président de l’Ouganda, du Président du Rwanda et du général James Kaberere expliquant en détail leurs rôles respectifs dans cette première guerre, dans « L’Afrique en morceaux », documentaire réalisé par Jihan El Tahri, Peter Chappell et Hervé Chabalier, 100 minutes, produit par canal Horizon, 2000.
[3] Étaient parties à l’Accord : l’Angola, la Namibie, l’Ouganda, le Rwanda, la RDC et le Zimbabwe. Par la suite, les groupes rebelles du Rassemblement congolais pour la démocratie (RDC) et du Mouvement de libération du Congo (MLC) y ont adhéré.