Archive | novembre, 2014

Femmes africaines et leadership : mettre fin à la domination masculine

22 Nov

« Femmes africaines et leadership : mettre fin à la domination masculine »

 f.diangitukwa@bluewin.ch

Attention : cet article vient d’être publié par Thinking Africa et ne peut être reproduit sans son autorisation : http://www.thinkingafrica.org/V2/wp-content/uploads/2014/11/NDR-13.pdf

 L’auteur

 Fweley Diangitukwa, docteur en sciences économiques et sociales de l’Université de Genève, mention science politique, a enseigné au département de science politique de l’Université de Genève, à Schiller International University à Leysin (Suisse), à l’Université Omar Bongo au Gabon (Afrique).

Il est l’auteur de nombreuses publications et de plusieurs articles scientifiques, entre autres un livre sur la gouvernance : « Gouvernance, action publique et démocratie participative », éditions Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, 2011 pour la 1ère édition et Dictus Publishing (Allemagne), 2012, pour la 2e édition. Dans ce livre, il présente l’origine de la gouvernance et les principales idées développées par les théoriciens qui travaillent sur ce concept. Il est aussi l’auteur d’un autre livre : « Comment devenir un leader charismatique et efficace », Monde Nouveau, 2013. Les arguments présentés succinctement dans cet article sont bien étayés dans ce livre.

 Mots clés : femme, charisme, leadership, gouvernance, démocratie participative, égalité, parité, éthique, droits civiques, droit de vote, collaboration, coordination.

 Résumé

 Cet article décrit la place de la femme dans la société, à partir des concepts de leadership et de gouvernance. Tout en montrant que les femmes qui sont plus nombreuses que les hommes sur la planète n’occupent pas une place envieuse, l’auteur cherche à décrire les causes qui empêchent la gent féminine à émerger et à être véritablement égale de l’homme. Pour y parvenir, il considère la place de la femme non seulement en Afrique mais aussi dans le monde. Il démontre que dans la plupart des pays, au Nord comme au Sud, à l’Ouest comme à l’Est, dans les pays dits démocratiques et dans les pays tyranniques, les femmes ont longtemps été exclues de la jouissance des droits politiques qui ne remontent pour elles qu’au début du XXe siècle. Parmi les raisons qui expliquent cette absence des femmes dans le domaine du leadership, il s’attarde sur le modèle patriarcal de l’autorité vécue dans l’enfance, le poids des traditions ancestrales portées sur le primat du masculin. Il y a aussi le poids des religions à travers le temps où le prophète a toujours été un homme, sans oublier les rapports de force à cause du caractère phallocentrique qui domine dans l’arène politique et le poids de la langue qui est plus au service de l’homme que de la femme. La femme a toujours été associée au sexe faible alors que c’est elle qui donne la vie. Cet article se limite à la sphère publique, c’est-à-dire au leadership politique et n’aborde pas la problématique du management du secteur privé où les femmes ont une influence certaine. Les difficultés que rencontrent les femmes africaines en matière de leadership sont aussi rencontrées par les femmes occidentales. À quelques exceptions, toutes les sociétés ont été et continuent d’être régies par les mêmes assignations de genre[1]. En Afrique, les études approfondies sur la littérature féministe sont rares. Cet article est un début d’exploration du sujet. Il se limite sur le général et n’analyse pas le cas spécifique de chaque pays. Pour conclure, l’auteur s’interroge sur les moyens de sortir la société de la perpétuation d’« un ordre sexué asymétrique ».

 Le cœur de l’investigation empirique

 Il existe plusieurs définitions du terme leadership et chacune présente le point de vue que l’on cherche à défendre ou à privilégier. Il s’agit d’une capacité d’orienter et de mobiliser durablement un groupe d’individus vers l’accomplissement de buts précis. L’origine de cette influence peut être formelle lorsque c’est la hiérarchie qui confie la fonction managériale à quelqu’un au sein de l’organisation mais elle peut aussi être informelle lorsque la capacité d’influencer le comportement des gens ne vient pas de la structure formelle de l’organisation. Les théories modernes basées sur le leadership distribué considèrent le leadership comme un phénomène pluriel, car il a cessé d’être une qualité incarnée par un seul individu. En réalité, le leadership n’a jamais été un phénomène individuel car même auparavant le leader était toujours entouré de conseillers occultes ou officiels, de mandarins en Chine. Justice est faite car les individus qui agissaient dans l’ombre et ceux qui contribuaient au processus global du leadership sont maintenant pris en compte. Malgré cette évolution, les hommes africains ont beaucoup de mal à se laisser influencer par le charisme féminin. Les femmes africaines elles-mêmes éprouvent beaucoup de mal à se soumettre au leadership d’une femme. Mais le leadership qu’elles n’ont pas sur la place publique, elles le manifestent ailleurs. Soit. Dans la réalité, elles n’ont pas autant de pouvoir que les hommes. La parité Hommes-Femmes est quasiment inexistante.

Si le monde comptait plus de femmes leaders, sa face changerait-elle ? Parce que la femme donne la vie, pourrait-on penser et croire qu’elle aurait une politique plus équilibrée et plus égalitaire ? En matière de leadership, existe-t-il un style qui convient aux femmes et dans lequel elles s’identifient mieux ?

Lorsque l’on jette un coup d’œil sur la liste des leaders politiques africains, on se rend vite compte que les femmes sont rares, elles sont plutôt sur la liste des abonnées absentes or la gouvernance est basée sur la collaboration et la coordination des acteurs venant de différents horizons. Une étude comparative en matière de leadership montre qu’en Afrique il y a plus d’hommes que de femmes qui occupent les hauts postes de commandement.

Mais cette situation ne concerne pas que le continent africain même si la situation de la femme est plus dramatique en Afrique et en Asie. Dans la plupart des pays dits démocratiques, les femmes ont longtemps été exclues de la jouissance des droits politiques qui ne remontent pour la gent féminine qu’au début du XXe siècle[2]. En Suisse, par exemple, le droit de vote et d’éligibilité des femmes a été imposé dans le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures en 1990 par une décision du Tribunal fédéral. Dans ce canton, les femmes n’ont eu le droit de vote que très tardivement, c’est-à-dire longtemps après les femmes des pays du tiers-monde.

 La place de la femme dans la société n’est pas envieuse

 Le sort des femmes est triste en matière de leadership. Le monde ne compte actuellement que sept femmes[3] chefs d’État sur les 243 pays et territoires dans le monde (dont 193 pays indépendants sont représentés à l’ONU) et, en Afrique, une seule femme sut les 54 pays du continent ; c’est dire clairement que le pouvoir est un domaine réservé uniquement aux hommes. Ce qui surprend le plus en matière de leadership au féminin est le fait que l’exemple en la matière n’est pas venu des pays dits démocratiques mais de la Mongolie où Sühbaataryn Yanjmaa (née Nemendeyen Yanjmaa) était Présidente de la République Populaire du 23 septembre 1953 au 7 juillet 1954. Elle était la toute première femme cheffe d’État sans être membre d’une famille royale ou impériale. Avec ce choix, la Mongolie est devenue le tout premier pays du monde à avoir eu une femme cheffe d’État républicain. Elle était aussi la première femme cheffe d’État en Asie et la Mongolie était le premier pays d’Asie à avoir une femme cheffe d’État républicain. Contrairement à ce que pouvait croire le commun des mortels, l’autre exemple des femmes leaders n’est pas venu des pays d’Europe mais d’Argentine où María Estela Martínez (dite ‘Isabelle’) de Péron, était présidente de la République du 1 juillet 1974 au 24 mars 1976. Elle était la première femme cheffe d’État républicain en Amérique et l’Argentine était devenue le premier pays d’Amérique à avoir une femme cheffe d’État républicain. Cet exemple fut suivi par la Bolivie où Lidia Gueiler Tejada était Présidente du 17 novembre 1979 au 18 juillet 1980. C’est seulement dans les années 1980 que les pays d’Europe ont commencé à avoir des femmes cheffes d’État, avec l’arrivée de Vigdis Finnbogadottir qui était Présidente de l’Islande du 1 août 1980 au 1 août 1996. C’est elle qui était la première femme cheffe d’État républicain en Europe et l’Islande est le premier pays d’Europe à avoir une femme cheffe d’État républicain. Puis, il y a eu Agatha Barbara, Présidente de Malte, du 15 février 1982 au 15 février 1987. En matière d’élévation de femmes, l’exemple n’est donc pas venu d’Europe. San Marin (Saint Marin) est une exception dans la mesure où il est l’un des rares pays au monde qui encouragent le leadership des femmes. Plusieurs d’entre elles ont été Co-Capitaine-Régente dans ce petit pays des Caraïbes.

Le constat est navrant : il y a plus de leaders politiques hommes que femmes[4]. Certes, dans l’Histoire universelle, il y a eu des femmes leaders très emblématiques comme Jeanne d’Arc en France, Kimpa Vita (Dona Béatrice) dans le Royaume du Kongo, etc. mais leur nombre est insignifiant face à la quantité écrasante d’hommes leaders qui ont traversé l’Histoire de l’Humanité depuis la nuit des temps. Parmi les leaders les plus connus dans l’Histoire universelle, nous avons : Moïse, Confucius, Louis XIV, Auguste, Napoléon Ier, Richelieu, Mahatma Gandhi, Simon Kimbangu, Charles de Gaulle, Mao Zedong, Lumumba, Martin Luther King, Simon Bolivar, Ernesto Guevara (Che), Lech Walesa, Nelson Mandela, Barak Obama, etc. Les noms de femmes n’apparaissent pas.

En Afrique, les femmes sont rares voire très rares dans le leadership. Sur ce continent, les femmes politiques et les cheffes d’entreprise sont comptées sur les bouts de doigts. En remontant très loin dans l’Histoire, Cléopâtre VII Théa Philopator  fut la première femme cheffe d’État. Elle était la Reine souveraine d’Égypte, entre 51 et 30 avant JC. L’histoire récente des femmes cheffe d’État a commencé avec Carmen Pereira qui fut présidente de Guinée-Bissau pendant deux jours, du 14 au 16 mai 1984[5]. Elle fut la première femme cheffe d’État en Afrique et la Guinée-Bissau est le premier pays d’Afrique à avoir une femme à la tête de l’État.

Économiste confirmée et formée aux États-Unis, Ellen Johnson-Sirleaf a été élue présidente du Libéria le 16 janvier 2006 en battant le ballon d’or africain Georges Weah. Elle est ainsi devenue la première femme élue au suffrage universel à la tête d’un État africain. En 2011, elle a été co-récipiendaire du Prix Nobel de la Paix avec sa compatriote Leymah Gbowee. L’année 2011 correspondait avec sa réélection à la tête de l’État. Elle est l’une des femmes africaines à avoir occupé des fonctions ministérielles dans les années 70 avant d’aller vivre aux États-Unis après un coup d’état auquel elle a survécu. Elle y a alors occupé des fonctions financières de haut niveau allant même jusqu’à diriger le Programme des Nations Unies pour le développement africain. Ellen Johnson-Sirleaf est la deuxième femme à présider aux destinées du Liberia car une autre avant elle, Ruth Perry, était présidente de la République par intérim du 3 septembre 1996 au 2 août 1997.

Joyce Banda  a été élue Présidente de la République du Malawi le 6 avril 2012[6] à la suite du décès du président Bingu wa Mutharika. Cette femme politique malawienne est devenue vice-présidente du pays en 2009, après avoir occupé le poste de ministre des Affaires étrangères, et celui de ministre de la Femme et l’Enfance. Militante de la cause féministe et éducatrice confirmée, elle a créé une Fondation « Joyce Banda » dont la mission est de promouvoir l’égalité entre les sexes. C’était l’un des thèmes de son combat politique. Elle est la cinquième femme Présidente de la République en Afrique, après Carmen Pereira de la Guinée-Bissau (Présidente du 14 mai 1984 au 16 mai 1984), Sylvie Kinigi de Burundi[7] (Présidente par intérim du 27 octobre 1993 au 5 février 1994), Ruth Perry de Liberia (Présidente par intérim du 3 septembre 1996 au 2 août 1997), Ellen Johnson-Sirleaf de Liberia (Présidente élue depuis le 16 janvier 2006).

Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l’Union africaine, est un membre convaincu de l’ANC (African National Congress/Congrès national africain), forgée politiquement par la lutte anti-apartheid et l’exil. Âgée de 63 ans, elle est considérée comme la femme la plus influente d’Afrique du Sud[8].

Quelques femmes ont émergé pendant la période de conflit comme c’est le cas de Catherine Samba-Panza qui a été élue à la tête du gouvernement de la République Centrafricaine. C’est un fait rarissime dans cette République où le pouvoir politique a toujours été détenu par des hommes à poigne au service de la France. Catherine Samba-Panza est en quelque sorte une réussite dans le domaine de leadership puisqu’elle est avant tout une femme d’affaires qui a fondé et dirigé une société de courtage en assurances tout en étant en plus une militante des droits des femmes.

Il y en a d’autres qui évoluent dans les organisations et institutions internationales comme la Gambienne Fatou Bensouda qui est devenue procureure de la Cour pénale internationale (CPI) en juin 2012 en succédant à l’Argentin Luis Moreno-Ocampo à ce poste.

Ngozi Okonjo-Iweala, ministre des Finances du Nigeria, est une économiste reconnue qui a été la première femme africaine à se porter candidate à la direction générale de la Banque mondiale en 2011. Au-delà de cette liste, les noms à évoquer deviennent rares.

Nous aimerions comprendre les raisons qui expliquent cette absence des femmes dans le domaine de leadership à l’heure où l’on met le concept de gouvernance en avant dans toutes les formes d’organisations et à différents niveaux : local, régional, continental et international.

Le modèle patriarcal et phallocentrique de l’autorité vécue dans l’enfance explique-t-il l’omniprésence des leaders hommes et l’absence des leaders femmes ? Pourquoi y a-t-il un primat implicite ou explicite accordé au sexe masculin ? Cette domination du mâle dans l’exercice du pouvoir se traduit par la longue exclusion des femmes de la sphère civique, affirme Jean-Claude Monod[9].

 La domination masculine

 Dans les monarchies, c’est le roi qui représente le pouvoir de droit divin. On voit dans l’Histoire que lorsqu’il y a une révolte dans la société, c’est le mâle qui évince un autre mâle. Ce sont les hommes qui ont mené les guerres, qui ont décapité le Roi en France et qui ont pris son pouvoir. « Les acteurs révolutionnaires et républicains, qui se désignent entre eux comme frères et camarades, succèdent au ‘père’ royal, instaurent une ère plus égalitaire, fondée sur le contrat et la reconnaissance de la triade liberté, égalité, fraternité, mais ils relèguent toujours la mère, la femme, la sœur, etc., au second plan »[10]. Le primat du masculin est présent partout. La figure du père, sinon celui du frère, affleure dans toutes les organisations du pouvoir, dans les communautés religieuses comme les frères musulmans. Chez les Tibétains, le leader spirituel a toujours été, du moins jusqu’à présent, un homme.

Dans toutes les religions, le prophète est toujours un homme. Au sein de l’Église catholique, le Pape est toujours un homme et la femme est exclue de toutes les hautes fonctions ecclésiales de décision. En Occident et en Asie, on parle plus de confrérie mais jamais de « consœurie ». Dans l’armée, le Général est généralement un homme et la femme est souvent exclue des hautes fonctions militaires. Il est très étrange de rencontrer une femme « Général » d’armée. La question de la place de la femme dans la société est préoccupante et cette exclusion se confirme dans le livre de Pierre Bourdieu consacré à la domination masculine[11]. Ce sociologue démontre comment Kant compare la dépendance de la femme à son mari et la dépendance de la foule (peuple) à un leader.

En Afrique, la figure du frère est partout privilégiée ; c’est l’homme qui est mis en avant plutôt que la femme, la mère, l’épouse, la fille, la sœur ou n’importe quelle personne de sexe féminin. Mais alors, doit-on penser que le pouvoir est devenu une question de rapports de force à cause du caractère phallocentrique qui domine dans l’arène politique ou est-ce parce que ce sont les mâles qui font la guerre pour protéger le territoire ? Quelle est la vraie raison de l’exclusion de la femme africaine dans l’espace politique à travers les âges ? Comment expliquer et comprendre cette fâcheuse tendance à vouloir occulter la place des femmes alors qu’elles jouent des rôles-clés dans toutes les sociétés et dans toutes les guerres ? Il n’y a pas de guerre où les femmes ne sont présentes. Elles sont utilisées dans les services de renseignement, comme agents secrets, espions, pour fournir la nourriture aux soldats et, pire, pour servir d’esclaves sexuelles (cas des Coréennes pendant la guerre du Japon), etc. Les quelques rares femmes qui sont mises en évidence comme Jeanne d’Arc qui s’était battue en France pour protéger sa terre ou comme Kimpa Vita (Dona Béatrice) qui s’était battue dans le Royaume du Kongo pour la même cause, forment des exceptions. Certes on peut citer d’autres incarnations féminines en Occident, comme Catherine de Médecis, Louise Michel, Rose Luxembourg ou plus récemment Margaret Tchatcher mais leur nombre ne suffit pas pour renverser la tendance. Dans les sociétés traditionnelles africaines, la place de la femme est à la cuisine au-delà de la maternité. C’est elle qui cultive le champ et qui nourrit l’homme.

La figure du père est si évidente et omniprésente que les chefs d’État, surtout dans des pays tyranniques ou dictatoriaux se proclament souvent « pères de la patrie » ou « pères de la révolution » en s’identifiant à la représentation sociale du mâle. Les chefs d’État qui s’instituent pères de la patrie et qui se comportent ainsi considèrent-ils leurs concitoyens – les femmes en particulier – comme des enfants qui ont réellement besoin de la protection d’un « père » ou pensent-ils que « le peuple est condamné pour son propre bien à une tutelle permanente »[12] ?

Comment doit-on aider la femme à bénéficier des mêmes atouts que l’homme et comment peut-elle revendiquer la même reconnaissance que l’homme en matière de leadership et des droits civiques ?

Tout au long de l’Histoire universelle, l’unité du peuple et la cohésion sociale ont prétendument été maintenues grâce à la domination d’un mâle – le chef – sur tous les autres. L’omniprésence du mâle a poussé Jacques Derrida à mettre en cause « la prévalence (grecque, abrahamique, juive, mais surtout chrétienne et islamique) de la figure du frère dans le droit, l’éthique et le politique, en particulier et non seulement dans un certain modèle démocratique. Fraternalisme, confrérie, communauté confraternelle et fraternisante, on y privilégie à la fois l’autorité masculine du frère (qui est aussi un fils, un mari, un père), le généalogique, le familial, la naissance, l’autochtonie et la nation »[13].

Dans toutes les sociétés africaines, l’identification directe au meneur est plus liée à la virilité, au mâle, qu’à la féminité et on imagine que « la foule déplace vers lui des investissements libidinaux jadis investis dans d’autres ‘autorités’, l’autorité paternelle en premier lieu, voire une superposition d’une figure paternelle et maternelle »[14].

Peut-on penser que la peur de l’ennemi pousse la foule à chercher protection derrière celui qui représente la force comme les enfants d’une famille qui, en cas de danger majeur, se protègent plus derrière le père que derrière la mère ?

 La démocratie est une illusion

 La soumission du peuple – comme celle de la femme – est une attitude très surprenante car la démocratie postule que le pouvoir vient du peuple et il est exercé par le peuple pour le peuple. Comment dès lors comprendre que ce même peuple refuse de jouir de sa liberté et accepte de se soumettre au leadership d’un homme et rarement à celui d’une femme ?

L’omniprésence du mâle, la manipulation du peuple par l’homme le plus rusé et parfois le plus violent conduisent à relativiser la notion d’intelligence collective, de rationalité, d’égalité[15] et d’éthique qui repose sur la démocratie participative et sur la gouvernance. La démocratie peut-elle être le pouvoir du peuple lorsqu’une catégorie du peuple – les femmes – en est exclue ou réduite à jouer des rôles mineurs ? Sandrine Dauphin, Réjane Sénac disent : « La parité avance, en politique et dans le monde du travail. Mais si l’on observe finement la société, les inégalités femmes-hommes n’ont pas disparu ».

Dans la vie sociale, c’est généralement l’homme qui est le chef de famille. Il y a plus de chefs de cuisine que de cheffes de cuisine. Il est même surprenant et étrange de mettre le nom chef au féminin, car en règle générale, le pouvoir est un domaine réservé aux mâles. Il y a plus de ministres que des femmes ministres ; il y a plus de professeurs que des professeures d’universités, etc. La Bible dit que la femme quittera ses parents lors du mariage pour rejoindre la résidence de l’homme – le contraire est vu comme une source d’humiliation. Dans certaines cultures, c’est l’homme qui autorise ou non sa femme à travailler. La place de la femme est réservée à la maison pour s’occuper des enfants et remplir ses obligations conjugales.

Pendant longtemps, c’est l’homme – chef de famille – qui dirigeait la vie de couple. La notion de parité a de la peine à être acceptée par les hommes habitués à se sentir supérieurs aux femmes. Certains métiers réservés uniquement aux hommes, pendant longtemps, n’ont pas le genre féminin, comme : médecin, professeur, maçon, charpentier, chauffeur, etc. D’autres métiers sont exclusivement réservés aux femmes, comme « dame de ménage, femme de chambre, baby-sitter », etc. La réalité de la vie sociale montre l’entrée tardive des femmes dans la vie publique et la rareté des femmes leaders. Or, les femmes sont majoritaires sur la planète. Il faut penser que, dans l’avenir, les femmes revendiqueront de plus en plus une féminisation du leadership politique et des postes de décision. La question du charisme politique des femmes est pleinement ouverte et elle ne saurait être évitée à l’avenir dans la perspective de la « démocratisation de la démocratie » et pour une meilleure gouvernance planétaire.

La gouvernance cherche à faire interagir des citoyens (femmes et hommes) venus d’horizons différents (public, privé et associatif) avant toute décision politique d’intérêt public. L’exigence d’interaction de différents membres de la société permet de passer des figures du Père à celles des réseaux, au sens de groupes organisés dirigés non par un chef mais par des chefs, c’est-à-dire par un collectif souple qui influence le choix collectif. Le rôle du supérieur hiérarchique est plus masqué car moins visible. C’est le porte-parole qui est mis en avant et le chef s’efface, du moins en apparence. Le réseau entretient ainsi les structures de décisions collectives. Malgré ce climat d’apparence décontractée et post-autoritaire qui contribue à l’évolution du concept de démocratie, la nécessité d’avoir un chef mâle est toujours ressenti par les membres de la société tandis que le rôle de la femme reste mineur.

 Placer la question de la parité au centre des débats

 Il est urgent de penser à la parité, à l’équilibre entre les sexes afin d’éviter que les postes de commandement soient exclusivement réservés aux hommes. Mais comment procéder pour une meilleure gouvernance en la matière ? Comment changer cette réalité ? Les femmes africaines finiront-elles un jour par « couper » les têtes des mâles comme les Français l’avaient fait en coupant la tête de leur Roi ? Quelle relation doit-on établir entre femmes, leadership et gouvernance ?[16] Renate Mayntz a dit « qu’un des défis contemporains majeurs est celui de la governability »[17]. Il a montré qu’aujourd’hui les circuits décisionnels sont de plus en plus spécialisés et compartimentés et qu’à ce titre les systèmes de décision publique qui se multiplient et qui deviennent interdépendants sont difficilement pilotables. Cette complexité conduit à la recherche des moyens concrets du pilotage de l’action publique qu’il trouve dans la coordination empirique entre acteurs et dans la mise en cohérence de leurs initiatives. C’est donc par la mise en place d’un partenariat public-privé et des négociations multiniveaux que la société peut parvenir à sortir de la crise de gouvernabilité. Mais pour quelle raison ne cherche-t-on pas à inclure, dans le partenariat et dans les négociations multiniveaux, la question liée à la parité entre les hommes et les femmes afin de réduire toutes les entraves à une égalité réelle tout en tenant compte de l’influence des évolutions du droit international sur la problématique de l’égalité femmes-hommes ? Comment sortir la société africaine de la perpétuation d’« un ordre sexué asymétrique » ?

Toutes ces questions doivent générer le plus grand nombre possible de réponses concrètes et innovantes pouvant aider les décideurs politiques et administratifs qui travaillent en permanence à améliorer la qualité de la gouvernance, dans la société en général et dans les entreprises en particulier. Le but final de cet article est d’évaluer le rôle des femmes dans la société en général et dans la société africaine en particulier afin de sortir ce thème de l’isolement académique dans lequel il se trouve. Cela pourrait-il susciter un peu plus d’intérêt et de mobilisation d’une grande partie des hommes et des femmes pour la réduction des inégalités ? Il faut l’espérer et surtout le souhaiter.

[1] Sur cet aspect, lire l’anthologie de Thanh-Huyen Ballmer-Cao, Véronique Mottier et Lea Siger, Genre et politique. Débats et perspectives, Paris, Gallimard, « Folio », 2000.

[2] Finlande en 1906, Islande et Danemark en 1915, Irlande en 1918, État-Unis en 1920, France en 1944, Italie 1945.

[3] Le monde compte seulement sept femmes présidentes : Cristina Kirchner (Argentine), Dilma Rousseff (Brésil), Laura Chinchilla Miranda (Costa Rica), Dalia Grybauskaité (Lituanie), Pratibha Patil (Inde), Atifete Jahjaga (Kosovo), Ellen Johnson Sirleaf (Liberia).

[4] Toutefois, l’adage dit que derrière chaque grand homme (leader) se cache une femme. Si les femmes ne sont pas souvent sur l’avant-scène, elles dirigent cachées derrière le rideau.

[5] Les deux jours de sa Présidence furent la première fois dans l’histoire du monde où il y avait quatre femmes cheffes d’État en même temps.

[6] Joyce Banda a été présidente du Malawi du 6 avril 2012 au 31 mai 2014. Elle était la vice-présidente du Democratic progressive party (DPP), le parti du défunt Président Bingu Wa Mutharika. Aussitôt investie, elle a appelé à l’unité et à la réconciliation.

[7] Sylvie Kinigi était Présidente de facto de Burundi, du 27 octobre 1993 au 5 février 1994 après l’assassinat du Président et son remplacement par le Parlement. Cela a pris 15 semaines. Elle était Premier ministre avant l’assassinat. Comme elle, Rose-Francine Rogombé  était présidente de la République du Gabon par intérim du 10 juin au 16 octobre 2009 et Monique Ohsan Bellepeau a été présidente par intérim de la République d’île Maurice, du 31 mars au 21 juillet 2012.

[8] « Gravissant les échelons au sein du parti, elle a partagé son temps entre le Royaume-Uni et l’Afrique australe, en œuvrant activement aux intérêts de son peuple. C’est au Swaziland, où elle était pédiatre dans un hôpital, qu’elle a rencontré Jacob Zuma. Elle est devenue sa troisième épouse en 1982 et ce jusqu’en 1998, date de leur divorce. Cette position d’épouse ou d’ex-femme d’un leader de taille ne l’a jamais empêché de jouer un rôle politique de premier plan. Puisqu’en 1994, Nelson Mandela, à son arrivée au pouvoir, lui confia le portefeuille de la Santé. Une nomination difficile, avec la tâche ardue de refonder un système de santé publique fondé sur le principe de la ségrégation raciale. Après cinq ans au Ministère de la Santé, elle en effectuera dix autres aux Affaires étrangères et trois à l’Intérieur. Partout où elle est passée, madame Dlamini-Zuma a laissé l’image d’une femme austère, sérieuse, efficace et parfois frondeuse », in http://www. Afrik.com/article26248.html

[9] Jean-Claude Monod, Qu’est-ce qu’un chef en démocratie ?, Paris, Seuil, 2012, p. 226.

[10] Ibid., pp. 227-228.

[11] Pierre Bourdieu, La Domination masculine, Paris, Seuil, « Liber », 1998.

[12] Kant, Anthropologie d’un point de vue pragmatique, trad. fr. Michel Foucault, Paris, Vrin, 5e éd. 1988.

[13] Jacques Derrida, Voyous, Paris, Galilée, 2003, pp. 87-88.

[14] Jean-Claude Monod, Qu’est-ce qu’un chef en démocratie ? Politique du charisme, op. cit., pp. 234-235.

[15] Parmi plusieurs livres sur ce thème, il y a à retenir celui de Sandrine Dauphin, Réjane Sénac (dir.), Femmes-hommes : penser l’égalité, Paris, La Documentation Française, coll. « Études de la Documentation française », 2012, 201 p.

[16] Lire Les femmes et la lutte des places, par Noelline Castagnez (a/s de Sylvie Pionchon et Grégory Derville, in Les Femmes et la politique, Presses universitaires de Grenoble, 2004, 215 p.)

[17] Jean-Pierre Gaudin, Pourquoi la gouvernance ?, Paris, Presses de science Po, 2002, p. 55.

Lu pour vous : Le grand mensonge sur les massacres de Beni

8 Nov
Ecoutez : http://coraliekiengeshow.com/2015/01/03/video-revelations-choc-dun-proche-de-mbusa-nyamwisi-contre-kabila/
Les massacres qui se produisent en territoire de Beni, depuis le 2 octobre dernier, sont attribués par le gouvernement congolais et la Mission de l’ONU au Congo (Monusco) aux rebelles ougandais des ADF. Une version officielle qui ne convainc pas. Depuis, la population manifeste en signe de désaveu de la Mission onusienne et du pouvoir de Joseph Kabila. 
 
Parallèlement aux manifestations, la population a entrepris de se prendre elle-même en charge, une démarche qui a permis d’y voir un peu plus clair dans ces tueries qui dissimulent à peine l’identité de leurs commanditaires et des mobiles inavouables.
Pour rappel, une première série de massacres s’est produite sur l’axe Oicha-Eringeti du 2 au 9 octobre faisant 23 morts. Elle a été suivie d’un massacre de plus grande ampleur à Ngadi et dans les quartiers périphériques de Beni, les 15 et 16 octobre. Bilan : 32 morts. Le lendemain va se produire la troisième série de massacres à Eringeti au cours de laquelle 24 personnes dont 9 femmes et dix enfants seront achevés à l’arme blanche. Eringeti, Oicha, Ngadi et Beni sont des secteurs totalement sous contrôle des FARDC, l’armée congolaise. Mieux encore, l’attaque du 17-18 octobre s’est produite alors que se trouvaient dans la ville de Beni le chef de la troisième zone de défense, le général Léon Mushale, et le commandant militaire du Nord-Kivu, le général Emmanuel Lombe. Se trouvait également dans la ville de Beni le patron de la Monusco, Martin Kobler, et le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku. Le président Joseph Kabila est arrivé à Beni dix jours plus tard, le 29 octobre. La nuit de son arrivée, quatorze personnes ont été massacrées dans la localité de Kampi ya Chui. Et, le 2 novembre, au lendemain de son départ, huit personnes ont été tuées dans le quartier Bel-Air en périphérie-est de Beni.


En l’espace d’un mois, les différents carnages ont coûté la vie à 120 personnes dans des zones pourtant totalement sous contrôle de l’armée et des casques bleus. Un ennemi qui attaque dans des conditions pareilles est soit fou, soit suicidaire. Il n’en est rien. A chaque fois, les assaillants repartent sans que les milliers de militaires et les casques bleus qui quadrillent la région ne soient en mesure d’en capturer un seul. Le doute sur l’identité« ADF » des assaillants ne tarde pas à prendre forme.


Le doute sur l’identité « ADF » des assaillants


On parle bien de « rebelles ougandais », « hostiles au régime de Yoweri Museveni », mais qui, bizarrement, ne mènent aucune attaque contre l’Ouganda. Ils attaquent la population congolaise, un comportement qui suffit à enlever toute forme de crédibilité à l’essentiel des informations véhiculées sur ces assaillants. Nous sommes en présence d’une violence politico-militaire visant le Congo et la population congolaise. Rien à voir avec un quelconque mouvement islamiste hostile à l’Ouganda. Des témoignages ne tardent pas à affluer. A Ngadi, des témoins ont aperçu les assaillants en train de boire avant de passer à l’attaque. Des islamistes qui boivent…


La population de Beni n’est pas la seule à rejeter la version officielle. Dans son article du 21 octobre, la journaliste belge Colette Braeckman doute que « ces atrocités soient réellement l’œuvre des ADF »[1], évoquant une de ses sources locales. L’ancien ministre des Affaires étrangères, Mbusa Nyamwisi, originaire de Beni, enfonce le clou en accusant le général Mundos, un proche de Joseph Kabila, d’être à la fois « le commandant des FARDC et des ADF »[2]. Le discrédit des autorités qui en résulte est tel que la population décide de prendre les choses en main, une démarche citoyenne qui permet d’y voir beaucoup plus clair, quelques suspects capturés ayant livré la face cachée de cette affaire des ADF.


En effet, après la troisième série de massacres, plusieurs individus ont été capturés par la population[3]. Ils avaient des machettes dans leurs bagages et arrivaient à Beni par la route du Sud. Ils avaient été trahis par leur accent et la difficulté qu’ils avaient à s’exprimer en swahili. Ils disaient se rendre à Eringeti pour aller cultiver des champs et étaient munis de laissez-passer délivrés par les autorités provinciales de Goma. Un Congolais n’a pas besoin d’un laissez-passer pour circuler sur le territoire national. Et, visiblement, les individus apparaissaient clairement comme n’ayant aucune attache sur le territoire congolais. La face cachée des « présumés ADF » vient d’être mise à nu. Nous sommes en présence de sujets rwandais, ou, pour être plus précis, des combattants rwando-ougandais dans le prolongement des aventures du M23. La main du Rwanda et de l’Ouganda apparaît comme un nez dans la figure, une évidence que nous avions déjà relevée dans un article de décembre 2013[4]. Mais tout le monde s’enferme dans l’hypocrisie, en commençant par les autorités congolaises et la Monusco. Les raisons du malaise ne se trouvent pas à Beni.


Pourquoi ils mentent ?


Nous sommes en présence de tueries qui n’ont a priori aucune explication rationnelle. Des tueurs apparaissent dans les quartiers et se mettent tout simplement à découper les habitants à la machette, de façon indiscriminée. Les premières images des carnages trahissent néanmoins la main de leurs auteurs. Elles portent la signature des milices rwandaises dont aucune n’opère dans le territoire de Beni. Les ADF, connus dans la région depuis deux décennies, n’ont pas la réputation de massacrer des femmes et des enfants. Ils enlèvent leurs victimes, les utilisent ou exigent des rançons. Des « tueurs rwandais » ont donc fait leur apparition à Beni. Pourquoi ?


On y comprend pas grand-chose jusqu’à ce qu’on se penche sur les difficultés de mise en œuvre de l’accord d’Addis-Abeba[5], et surtout des engagements de Nairobi signés le 12 décembre 2013[6] par le gouvernement congolais et le M23. Depuis des mois, le Congo est mis sous pression pour qu’il s’acquitte des engagements signés à Nairobi avec le M23. Le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU au Congo, Martin Kobler, a demandé lundi 27 octobre, au gouvernement congolais de réintégrer les ex-combattants du M23.


Plusieurs signaux et des sources concordantes annonçaient que ces combattants sont toujours actifs, s’organisent[7] et sont au point de frapper. Mais Joseph Kabila est dans une situation inconfortable. S’il accède à leurs revendications (réintégration dans l’armée, amnistie totale et retour des populations rwandophones[8]), il sera confronté à l’hostilité des Congolais au moment où il essaie de grappiller quelques miettes de confiance dans leurs cœurs, justement après les dégâts que le M23 lui a fait subir dans l’opinion nationale il y a un an. Kabila est donc obligé de faire la sourde oreille. La Monusco, de son côté, n’est pas en meilleure situation. Si elle avoue devant la face du monde que des éléments liés au M23 ont massacré la population dans l’Est du Congo, on imagine aisément le tollé international auquel elle devrait faire face. Il y a exactement un an l’ONU annonçait que « le M23 n’existe plus en tant que force militaire ».


Au-delà du gouvernement congolais et de la Monusco, le Rwanda et l’Ouganda ne peuvent pas entendre dire que leurs miliciens[9] ont encore mené des attaques sur le sol congolais. Paul Kagame est dans une situation délicate sur le plan international après la diffusion du documentaire de la BBC qui remet en cause la version officielle du génocide rwandais et dénonce ses interventions meurtrières au Congo. Toute vague de violence dans l’Est du Congo dans laquelle son nom pourrait apparaître lui sera de trop.


Finalement, un seul acteur doit porter la responsabilité des attaques dans l’Est du Congo : les ADF. C’est un ennemi invisible et qui ne parle pas. On peut lui attribuer toute sorte de crime, il n’y aura guère de démenti. Les combattants rwando-ougandais ont trouvé une couverture parfaite. Ils peuvent affluer sur le territoire congolais et opérer dans des secteurs sous contrôle d’une armée congolaise gangrenée par des infiltrés et dans laquelle ils comptent de nombreux complices[10], conséquences des brassages, des mixages, des intégrations et des amnisties. Et ils vont se livrer à des massacres spectaculaires qu’ils vont faire attribuer à un ennemi sur lequel l’opinion internationale doit se focaliser. C’est une stratégie abjecte dont la NRA en Ouganda et le FPR au Rwanda(les ancêtres du M23) étaient coutumières, selon Pierre Péan[11]. On n’accusera pas le Rwanda. Beni est à 300 km des frontières rwandaises. On n’accusera pas non plus l’Ouganda parce qu’il s’agit des « rebelles-ougandais-hostiles-au-régime-de-Yoweri-Museveni »… mais-qui-n’attaquent-jamais-l’Ouganda. Un mensonge assez épais, mais ça passe. Parce qu’un mensonge répété mille fois devient une vérité.


Que les Congolais se réveillent !

La supercherie devrait durer jusqu’à ce que l’essentiel des effectifs du M23 se retrouve sur le sol congolais, prêts à relancer la même guerre que le Rwanda, l’Ouganda et leurs alliés font subir au Congo depuis 1996 et dont les enjeux restent les mêmes. Sauf si les Congolais se réveillent et emboîtent le pas à la population de Beni qui refuse de se faire massacrer par des faux « ADF ». Parce que même si le Congo a perdu six millions de ses habitants du fait de cette guerre qui perdure sous diverses formes, il faut toujours garder à l’esprit que chaque massacre supplémentaire crée des souffrances bien particulières. Il se traduit par l’arrivée de nouveaux orphelins, de nouvelles veuves, de nouveaux veufs et de nouvelles familles traumatisées à jamais. Pour la communauté internationale, la Monusco, le Rwanda, l’Ouganda et même le régime de Joseph Kabila, ces tueries font partie des « stratégies » et de la « géopolitique ». Mais pour les Congolais il s’agit de se faire tuer comme une bête ou de lutter pour sa survie. C’est donc aux Congolais eux-mêmes, en tant que peuple, qu’il revient de se mobiliser, surtout à Kinshasa, pour mettre fin à ce génocide mené sur fond de mensonges. A six millions de morts, un peuple doit pouvoir se lever et dire « ça suffit ! » Autrement, ces massacres vont se reproduire leurs auteurs étant quasiment assurés de la totale impunité[12].


Boniface MUSAVULI

 


[1]« La terreur revient à Beni », Le carnet de Colette Braeckman, 4 novembre 2014.
[2]« ADF-Nalu : un ancien ministre congolais met en cause un haut gradé », rfi.fr, 25 octobre 2014.
[3] Trois individus ont notamment été arrêtés sur le parking nord de Beni. Deux ont été remis à la police. Le troisième a tenté de fuir en arrachant son arme à un policier. Il a été rattrapé lynché et brûlé en plein quartier Matongé. Pour l’anecdote, l’incident s’est produit alors que le président Kabila se trouvait dans la ville. Sa statue sera déboulonnée dès le lendemain.
[4] B. Musavuli, « RD Congo : Le M23 version Kampala ? », agoravox.fr, 28 décembre 2013.
[5] L’Accord-cadre pour la paix la sécurité et la coopération, signé le 24 février 2013 à Addis-Abeba.
[6] Communiqué Final Conjoint CIRGL-SADC sur les pourparlers de Kampala, Nairobi, 12 décembre 2013, Cf. Site de l’ambassade de la RDC à Paris, <http://ambardcparis.com/Communique%20Final.pdf >.
[7] Jean-Jacques Wondo, « Pourquoi les FARDC n’ont pas vraiment vaincu le M23 ? », desc-wondo.org, 9 octobre 2014.
[8] Les revendications du M23 sont, en réalité, impossibles à satisfaire. Il parle du retour de 400 mille familles au Congo, d’une amnistie totale et d’une intégration dans l’armée et les institutions congolaises de ses membres, des sujets étrangers pour leur grande majorité. Aucune autorité congolaise ne peut s’engager sur de telles exigences, sauf si le Congo subit une défaite militaire et se retrouve devant le fait accompli, notamment si le M23 parvient à s’implanter dans un territoire sur le sol congolais.
[9] Le M23 n’est pas un mouvement congolais. C’est une organisation formée de combattants rwandais et ougandais avec à sa tête le général rwandais James Kabarebe, selon le rapport S/2012/843 du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo du 15 novembre 2012, p. 109.
[10]« Les révélations du Colonel Mankesi sur l’infiltration des FARDC », desc-wondo.org, 15 mai 2014.
[11] Pierre Péan, Carnages – Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Éd. Fayard, 2010, pp. 230-231. Durant la Deuxième Guerre du Congo, la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme) a relevé dans un rapport que des officiers du RCD (l’ancêtre du M23) faisaient commettre des massacres des populations qu’ils attribuaient ensuite aux FDLR. Il ne s’agit pas ici de nier les crimes des FDLR et des ADF qui sont bien réels. Il s’agit de relever qu’une partie des faits qui leur ont été attribués ont pu être orchestrés par leurs adversaires pour les diaboliser. Et c’est de bonne guerre.
[12] Depuis que le projet de création d’un tribunal pénal international pour le Congo a été abandonné, malgré le rapport du projet Mapping (octobre 2010), les auteurs des massacres contre la population congolaise sont quasiment assurés de la totale impunité. Lorsqu’ils ne bénéficient pas des lois d’amnisties, ils sont rarement arrêtés. Et même lorsqu’ils sont arrêtés, ils parviennent toujours à s’évader des prisons. Ils partent s’installer au Rwanda et en Ouganda. Les gouvernements rwandais et ougandais refusent d’extrader leurs ressortissants qui ont commis des crimes au Congo .