Archive | avril, 2018

Appel à tous les intellectuels congolais de souche : l’avenir du Congo est notre responsabilité commune. Agissons ensemble.

21 Avr

 

Appel à tous les intellectuels congolais de souche : l’avenir du Congo est notre responsabilité commune. Agissons ensemble.

Par Fweley Diangitukwa

http://www.fweley.wordpress.com

 

Notre pays est arrivé à un tournant de son histoire qui nécessite l’union de notre intelligence collective. À trois reprises, notre pays a été dominé et sauvagement pillé : d’abord par le roi des Belges, Léopold II, qui avait donné la forme actuelle de notre pays et qui en avait fait sa propriété privée en s’appuyant sur les hommes qu’il envoyait dans sa colonie pour l’exploiter à son compte. Ces derniers en avaient profité pour s’enrichir eux aussi. À partir de 1908, l’État belge avait poursuivi l’œuvre macabre de son Roi ; ensuite, le 24 novembre 1965, le colonel Joseph-Désiré Mobutu avait fait un coup d’État en s’appuyant sur ses « compagnons de la révolution ». L’enrichissement rapide et illicite était la seule préoccupation de différents dirigeants du Mouvement populaire de la Révolution (MPR) ; enfin, depuis 1997, le Congo est tombé entre les mains d’un conglomérat d’aventuriers venus du Rwanda et de l’Ouganda épaulés par des Congolais qui ont vendu leur âme au diable. Tous, sous la conduite de Joseph Kabila, poursuivent les mêmes ambitions que les colons de Léopold II et les « compagnons de la révolution » de Joseph-Désiré Mobutu[1]. À présent, notre aujourd’hui est bloqué et notre avenir commun est incertain.

Depuis 1885, des étrangers de tous bords, se disputent les ressources naturelles du Congo alors que les natifs du pays sont réduits au silence et contraints à courber l’échine. Nous devons mettre fin à ce régime basé sur la loi du plus fort afin de construire une véritable République dans laquelle les dirigeants seront au service du peuple.

Pour mieux illustrer notre situation actuelle, nous rappelons quelques éléments de la Tchécoslovaquie créée sur les ruines de l’empire Habsbourg. Au sortir de la Première Guerre mondiale, la Première République tchécoslovaque est l’un des États qui fit sa première apparition sur la carte de l’Europe wilsonienne, fondée sur le principe du droit des peuples à disposer de leur destin. La Première République tchécoslovaque est née sur les décombres de l’Empire austro-hongrois grâce au concours des intellectuels slovaques et tchèques qui vivaient aux États-Unis et qui avaient peur que leurs territoires soient envahis par les Russes ou plutôt par les Soviets. Pour résister contre ce risque d’invasion, les intellectuels tchèques et slovaques ont décidé d’unir leurs efforts pour créer une République commune. Leur entente depuis des États-Unis a été transmise à leurs compatriotes restés dans les deux territoires afin qu’ils concrétisent leur vision commune d’un espace sécurisé et protégé contre la menace des Soviets. C’est ainsi qu’est née la Tchécoslovaquie. Pour exister au sein de cette Europe remaniée, l’État tchécoslovaque a besoin d’un principe nouveau : le « tchécoslovaquisme ». Un concept national inédit en 1918 mais qui est issu des liens étroits tissés au cours du XIXe siècle entre les mouvements tchèque et slovaque d’émancipation nationale. L’indépendance est proclamée le 28 octobre 1918 et Prague devient la capitale du nouveau pays. Son territoire s’étend des Monts métallifères à l’Ouest, à la Ruthénie subcarpatique, à l’Est. Il s’étend ainsi de l’Allemagne de Weimar à l’Ukraine. La Tchécoslovaquie fut le pays qui a abrité le seul régime démocratique non conservateur d’Europe centrale durant l’entre-deux-guerres.

L’idée de créer un nouvel État, la Tchécoslovaquie, prit naissance en octobre 1918 aux États-Unis grâce aux « minorités tchèque et slovaque se trouvant en nombre important aux États-Unis, notamment les Slovaques. Ce sont ces immigrés issus de plusieurs vagues de migration du XIXe siècle qui ont financé l’action de Masaryk. C’est aux États-Unis que se joua le destin et l’avenir de la Tchécoslovaquie et c’est lors des accords de Cleveland et de Pittsburg que les Tchèques et les Slovaques se mirent autour d’une table pour négocier l’avenir de la Tchécoslovaquie. » Il est important de retenir que l’invention de la nation tchécoslovaque a servi « à renverser la prépondérance des Allemands et des Hongrois au sein du nouvel État ».

La Tchécoslovaquie n’aura pas vécu un siècle. Le dernier chef du gouvernement de la fédération tchèque et slovaque, annonça à la télévision le soir du 31 décembre 1992, la séparation de l’un des États les plus jeunes d’Europe et le 1er janvier 1993, la Tchécoslovaquie se dissocia en deux nouveaux États, la République tchèque et la Slovaquie. Son existence a été en effet très courte et sa fin a coïncidé avec l’éclatement de l’ex-URSS.

Ce rappel de la Tchécoslovaquie doit interpeller les intellectuels congolais que nous sommes. Quel est notre rôle devant le blocage auquel nous assistons impuissants jusqu’à ce jour ? Que devons-nous faire pour sauver notre pays des mains des aventuriers sans mandat qui s’accrochent au sommet de l’État et qui sont prêts à organiser des élections en décembre pour se maintenir au pouvoir ? Qui doit dire au peuple souverain ce qu’il doit faire pour sortir le pays de la domination des pilleurs qui changent au cours de l’histoire mais qui recourent toujours aux mêmes pratiques ? Si les immigrés tchèques et slovaques s’étaient unis d’accord sur l’idée nationale tchécoslovaque pour faire entendre leurs revendications territoriales et créer l’un des rares États européens qui a proposé, à l’heure des fascismes et des totalitarismes dont il fut par ailleurs l’une des premières victimes, un modèle de société multiculturelle et démocratique, quel travail les intellectuels congolais éparpillés à travers le monde doivent-ils accomplir pour construire au cœur de cette Afrique centrale, dominée par des régimes autocratiques, un Congo libre et démocratique et qui doit rapidement devenir un exemple de développement et de stabilité ? Telle est la question que nous posons aux intellectuels congolais[2] de la diaspora et à ceux de l’intérieur.

Le Congo n’est pas une monarchie qui appartient à une caste. Il est une res publica, c’est-à-dire un espace public appartenant à tout Congolais de souche. Ceci revient à dire que nous ne devons pas attendre que la minorité qui détient le pouvoir par défi (parce que sans mandat légal) et qui a pris toutes les institutions en otage, rende le pouvoir au peuple de façon civilisée. Cette minorité ne le fera jamais car il conservera le pouvoir aussi longtemps que le peuple ne s’opposera pas de façon radicale et déterminée pour récupérer ce qui lui revient de droit. Nous avons l’obligation de reconnaître que nous sommes collectivement responsables du blocage de nos institutions parce que nous ne parvenons pas à trouver les moyens de défenestrer ceux qui s’accrochent au pouvoir en utilisant l’armée et la police. Nous avons perdu de nombreux braves compatriotes qui ont cru à la lutte pacifique afin de rétablir le Congo dans ses droits, malheureusement nos stratégies ont un côté destructeur car nous n’avons jamais tenu bon en restant debout jusqu’au bout. Jusqu’à présent, nous avons pris la mauvaise habitude d’agir de façon sporadique et d’abandonner la lutte au moment où la victoire est proche. Pire, notre malheur commun réside dans le fait que nous attendons que ceux qui sont dans l’illégitimité et dans l’illégalité cède le pouvoir au peuple alors que nous savons pertinemment bien qu’ils ne le feront jamais. Nous avons l’expérience de 2006 et de 2011 où la victoire de l’opposition a été sciemment et publiquement volée, au su et au vu des observateurs étrangers présents dans le pays et de la communauté internationale. De ce fait, il n’est plus permis de fonder un nouvel espoir sur l’élection présidentielle prévue le 23 décembre 2018. Ceux qui s’inscrivent dans cette logique veulent tout simplement accompagner le PPRD dans la fabrication de sa victoire truquée. Il est permis de penser qu’ils sont des complices. Dans le cas contraire, ce sont des naïfs qui sont incapables de tirer la leçon de notre passé récent.

Il appartient maintenant au peuple lésé par des imposteurs souvent à double nationalité de se réapproprier ce qui lui revient de droit afin de réorganiser la refondation de la République. Concrètement, puisque les anciens gouvernants n’ont plus de mandat légal, nous ne pouvons pas les autoriser à organiser les élections dans une République qui prétend être une démocratie. Le peuple souverain doit arrêter leur folie en mettant en place une équipe de transition qui aura l’obligation d’organiser les élections afin de revenir à une situation normale. Cette équipe doit absolument s’annoncer, se manifester et se mettre au travail en négociant avec les pays qui veulent bien reconnaître la nouvelle donne et accompagner le Congo dans la démolition de sa tyrannie et dans la construction de sa modernité. Oui, nous ne pouvons plus attendre. Nous devons agir au grand jour. Si nous comprenons cela, nous évoluerons et notre réalité collective changera. La question à résoudre – qui reste entière – est celle de savoir comment faire comprendre à l’armée que son rôle est d’empêcher la confiscation du pouvoir par des gouvernants sans mandat, c’est-à-dire comment éviter une guerre inutile contre ceux qui se cramponnent au pouvoir en utilisant la violence ? Un travail titanesque doit être fait pour que les Congolais de souche qui sont dans l’armée œuvrent pour le rétablissement de l’État de droit dans notre pays. En plus, si nous mettons nos intelligences ensemble, nous y parviendrons, certainement. Il est temps de nous accorder sur un leadership collectif, consensuel et transformateur pour aspirer au changement que nous attendons depuis longtemps. Pour y parvenir, nous devons nous appuyer sur une communauté d’intérêt, d’où la nécessité et le sens de cet Appel aux intellectuels congolais. Nous ne devons plus voir la politique sous le prisme de la concurrence entre individus (où chacun voudrait à tout prix être candidat à l’élection présidentielle), entre les partis (où chaque parti cherche à tout prix à aligner son candidat) et entre les provinces (où chacune souhaite à tout prix voir le sien à la tête de l’État dans une logique de « maintenant c’est notre tour » et combat les candidats des autres provinces) mais plutôt sous celui du rassemblement ou d’association de nos intelligences et de nos capacités afin de provoquer des forces centripètes plus grandes. Comme l’a dit notre compatriote Arthur Kalombo, quelle que soit la brillance de l’intelligence d’un individu, celui-ci ne peut se suffire à lui-même sans recourir à d’autres individus qui le dépassent dans d’autres domaines. Dans le même sens, l’auteur de ces lignes s’adresse à vous.

Le Pacte politique scellé à Sun City en Afrique du Sud a échoué à cause de l’amateurisme et de l’aventurisme des dirigeants actuels qui n’ont pas respecté les prescrits de la Constitution, notamment l’article 220. Il devient donc indispensable de reconstruire un nouveau Pacte politique pour refonder la République. Tout ce qu’entreprennent les dirigeants actuels n’a aucun fondement juridique puisqu’ils sont hors mandat et agissent sans légalité et sans légitimité. Les élections qu’ils se préparent à organiser le 23 décembre 2018 ne s’appuient sur aucun cadre juridique et elles sont contestées avant même qu’elles soient organisées non pas uniquement à cause de la machine à voter ou à voler les voix des électeurs ni à cause des doublons et du lieu de résidence du serviteur qui n’est pas connu du public mais d’à peine quelques membres du gouvernement et de la CENI ; elles sont surtout contestées sur le principe de non-respect de l’ordre juridique en vigueur dans le pays. Comme les gouvernants actuels ont été incapables de garantir le respect de la Constitution, c’est aux intellectuels de remettre l’ordre dans le pays.

[1] Lire Fweley Diangitukwa (sous la direction de), Les Congolais rejettent le régime de Joseph Kabila, éditions Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, 2015.

[2] Dans cet Appel, il faut comprendre le concept d’« intellectuel » dans le sens de celui qui garde son intellect en éveil, qui manifeste un engagement dans tout ce qu’il entreprend ; celui qui cherche des idées nouvelles ou plutôt neuves pouvant permettre à notre pays de sortir des blocages actuels à différents niveaux de fonctionnement, pas uniquement au sommet de l’Etat mais à tous les niveaux institutionnels, du haut vers le bas ou du bas vers le haut. Le diplôme n’est donc pas le critère principal de sélection, car il y a des intellectuels et des leaders à tous les niveaux de la vie publique. Les intellectuels qui existent dans nos communautés villageoises doivent être pris en compte dans la réflexion générale. Ici, l’intellectuel est celui qui non seulement se donne la peine de comprendre les problèmes de la société dans laquelle il vit mais qui va plus loin en proposant des solutions de sortie. Or, de nombreux individus ont étudié dans le seul but d’obtenir un diplôme (sésame) ouvrant la possibilité d’occuper un poste prestigieux qui donne des facilités matérielles à son détenteur. Ces individus-là ne sont pas des intellectuels car ils ne réfléchissent pas – sinon très peu – après leurs études.