Réponse au ministre Lambert MENDE OMALANGA suite à son article sur les cadeaux offerts au couple Albert II et intitulé : « Le gouvernement congolais en colère », La Prospérité, Kinshasa, le 14/07/2010
Par Fweley Diangitukwa, politologue et écrivain
Monsieur le Ministre,
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre mise au point adressée aux journalistes belges. Au-delà de votre volonté de convaincre l’opinion belge, j’ai découvert des contradictions qui m’obligent à vous écrire.
S’agissant du cadeau offert à la reine Paola, vous ne le niez pas mais vous vous efforcez de le justifier en recourant aux traditions africaines. En affirmant le fait, vous dites, et je vous cite : « C’est le lieu de faire observer qu’il est de bonne tradition chez nous que la Première Dame hôte offre aux Epouses des Hautes Personnalités en visite un cadeau privé constitué de produits de l’industrie ou de l’artisanat national. Cette mobilisation de la Première Dame comme ambassadrice pour la promotion de nos produits s’inscrit bien dans nos Intérêts Nationaux dont la définition n’appartient à personne d’autre qu’à nous-mêmes ». Qui est contenu dans ce « nous-mêmes » auquel vous faites allusion ? Avez-vous pensé exclusivement au couple présidentiel et à l’équipe gouvernementale ? En tout cas, les Congolais, comme moi, ne se reconnaissent pas dans votre définition de « nous-mêmes ».
Pour quelle raison, vous êtes-vous donné la peine d’écrire cette mise au point ? Car vous confirmez les faits relatés dans la presse belge. Si la première dame s’est empressée d’offrir un collier en diamant que les Congolaises ne portent pas et ne porteront jamais car trop cher, en votre qualité de porte-parole du gouvernement, vous ne mentionnez nulle part le cadeau que la reine Paola a apporté aux Congolais après cinquante ans de séparation. Etait-elle venue bredouille ? Ou sommes-nous encore dans la logique des Nègres qui veulent toujours montrer leur générosité débordante et idiote, comme à l’époque coloniale où l’indigène catholique tuait son meilleur coq pour accueillir le missionnaire alors que celui-ci ne lui a rien apporté à part la parole de l’évangile selon Saint Jean qui l’oblige à se soumettre aux ordres du missionnaire ?
Je trouve contradictoire que le Congo qui n’est pas devenu « un paradis que l’on chercherait en vain partout ailleurs sur la planète terre » offre un cadeau si luxueux au point où les milieux belges se sentent choqués. Embarrassés, ils veulent même faire garder ce diamant sans un musée.
Monsieur le Ministre,
Le gouvernement que vous servez se glorifie d’avoir invité quinze Chefs d’Etat. Mais combien d’acteurs congolais, encore vivants et ayant joué un rôle, si mineur soit-il, en 1960, ont reçu les mêmes honneurs et la même considération que vos quinze Chefs d’Etat ? Vous refusez d’affirmer que le Congo est un « mauvais élève » que le Souverain aurait dû admonester en tapant du poing sur la table. Si cela ne relève pas de la responsabilité du roi des belges, ayons l’honnêteté de reconnaître que nous n’avons rien fait d’extraordinaire pendant cinquante ans. Que pensent aujourd’hui les Congolais qui n’ont ni salaire ni revenu minimum après cette importante commémoration qui « a dû coûter énormément » alors que nous sommes un Etat pauvre ? N’aurait-il pas été plus judicieux de construire quelques dispensaires ou quelques écoles primaires avec cet argent qui a été gaspillé pour faire plaisir aux souteneurs du régime ?
Vous dites que « les grands travaux d’infrastructures ont été lancés un peu partout dans le pays » tout en vous hâtant de préciser que c’est plus « particulièrement dans la capitale Kinshasa ». Sans vous rendre compte, votre gouvernement répète les erreurs de développement que les grandes villes occidentales avaient commises au XVIIIe et au XIXe siècles. Le développement des villes européennes avait entraîné un exode rural et du chômage auxquels l’Etat n’avait pas de réponse. On ne développe pas un pays en attirant des foules dans la capitale ou en élargissant quelques avenues dans la capitale !
Contrairement à ce que vous semblez ne pas accepter, « les salariés congolais ne sont pas satisfaits du niveau de leurs rémunérations, les justiciables se plaignent de la lenteur des procédures devant les cours et tribunaux soupçonnés de corruption, les femmes et jeunes filles sont violentées dans des zones de conflit à l’Est du pays ». Ces faits ne peuvent être escamotés.
Monsieur le Ministre,
Nous sommes d’accord avec vous et nous apprécions lorsque vous écrivez : « Il est inadmissible, cinquante ans après notre accession à la souveraineté nationale et internationale, que dans l’ancienne puissance coloniale l’on se complaise dans de telles attitudes paternalistes. La Belgique serait-elle devenue une championne de la bonne gouvernance et de la générosité ? Les pauvres Congolais en seraient ravis, eux qui attendent toujours en vain depuis les années ‘40 la contrepartie de l’Uranium de Shinkolobwe (Katanga) qui, vendu par la Belgique aux Etats-Unis, avait permis la victoire des Alliés contre les puissances de l’Axe en 1945 sans que le produit de cette transaction ne leur revienne. Ils apprécieraient aussi que soit soldé de manière juste et équitable le fameux contentieux belgo-congolais qui hypothèque depuis 1960 leur développement économique. Que dire du préjudice imposé à notre peuple du fait de la séparation nette du budget de la colonie de celui de la métropole en 1960 ? Ou des inestimables trésors culturels de notre pays stockés sans espoir de retour à Tervuren ? Que dire du silence des bien-pensants lorsque leur propre pays rechigne à rémunérer les anciens combattants congolais de 1940-1945 qui ont pourtant versé leur sang pour la Belgique ? » Très bien. Excellent. Mais pour quelle raison le gouvernement congolais n’a-t-il pas haussé le ton pour revendiquer publiquement ce que vous dites derrière le dos du roi des Belges ? Le 30 juin 2010 ne devait-il pas justement servir à régler tous ces différends entre partenaires ? Avez vous été timide, naïf ou plutôt consentent pour ne pas perdre votre poste ? Si « l’enfer est pavé de bonnes intentions » (allusion à Noam Chomsky), comme vous dites, la démagogie est une arme dangereuse. Vous refusez de recevoir des leçons mais vous avez avalé des couleuvres en présence du roi des Belges. Quelle contradiction ! Cela ne frise-t-il pas l’hypocrisie ? Si vous déplorez « la grosse manipulation qui entoure cette nième campagne de dénigrement systématique de la RD Congo (et qui) explose comme une baudruche », votre gouvernement ne se résigne pas à manipuler l’opinion congolaise. Comment un pays qui revendique sa souveraineté haut et fort peut-il accepter de subir « des terribles épreuves que leur ont imposé les seigneurs de guerre et leurs commanditaires dont la plupart se terrent dans des niches européennes, notamment en Belgique » ? Le sachant, qu’a fait votre gouvernement pour mettre fin à la souffrance des Congolais ? Si, d’après vous, « les Congolais ont appris à déceler la supercherie et l’hypocrisie des officines nostalgiques (c’est-à-dire belges) » – détrompez-vous -, les mêmes Congolais ont également appris à déceler la supercherie et l’hypocrisie des officines gouvernementales (congolaises cette fois-ci). S’il est vrai que « la quasi-totalité des dirigeants qui se sont succédé à la tête de l’Etat congolais depuis l’indépendance ont fait les frais de l’hostilité de nos anciens colonisateurs », il est aussi vrai que les mêmes chefs d’Etat ont cherché eux-mêmes et reçu le soutien de la même Belgique que vous critiquez.
Le monde entier sait que les élections de 2006 n’étaient pas démocratiques parce qu’elles étaient entachées de nombreuses irrégularités. Vous êtes le seul à affirmer ce que le monde entier a déploré, en commençant par les Congolais eux-mêmes. Dans quel pays avez-vous vu un candidat qui refuse un débat contradictoire alors que ce débat est prévu dans la loi électorale ? Le vrai drame de notre pays vient du fait que le Congo ne parvient toujours pas à affirmer sa souveraineté. En politique, et vous le savez, ce sont les intérêts qui comptent et non « le souci de préserver de bonnes relations entre nos deux pays unis par une longue histoire commune ».
Monsieur le Ministre,
Vous vous en prenez à « l’existence de ces criminels qui, à partir de leurs bases européennes, s’enrichissent en faisant tuer les Congolais ». Mais pourquoi le gouvernement, dont vous êtes le porte-parole, n’apprend-il pas à protéger ces Congolais et à poursuivre ces criminels ? En réalité, c’est l’incapacité de votre gouvernement qui donne des idées à tous ceux qui profitent du Congo. Du reste, vous le reconnaissez sans pudeur en affirmant, je vous cite « Notre pays ayant particulièrement souffert ces dix dernières années de son incapacité à protéger ses richesses… ». Si vous reconnaissez publiquement que le gouvernement que vous servez ne protège pas le Congo et les Congolais depuis ces dix dernières années, pour quelle raison ne démissionnez-vous pas ?
A travers vos invités, les Congolais savent maintenant clairement qui sont les chefs d’Etat qui soutiennent votre régime. Par exemple, après avoir contribué au massacre de plus de six millions de morts et au pillage des ressources naturelles du Congo, qu’est-ce que Paul Kagame a avoir avec l’anniversaire de l’indépendance du Congo ? Aux yeux des Congolais, votre gouvernement a publiquement dévoilé ses réseaux occultes. Ils savent maintenant pour quelle raison le Congo n’a jamais réussi à mettre fin à la guerre.
En tout cas, pour nous, le 30 juin 2010 a été un rendez-vous manqué et nous le disons dans cet autre article que nous vous demandons de lire.
Fweley Diangitukwa,
Politologue et écrivain