Comment le pouvoir détourne l’attention de l’opposition
Par Fweley Diangitukwa, politiste
http://www.fweley.wordpress.com
À chaque crise majeure, il faut que le pouvoir détourne l’attention de l’opposition pour l’obliger à parler d’autre chose que de la crise en cours. Le pouvoir établi doit faire en sorte que l’opposition dépende totalement de lui et de son plan afin qu’elle ne soit pas maîtresse des enjeux futurs, c’est-à-dire qu’elle ne réfléchisse pas aux actions à mener. Pour cela, il faut la distraire continuellement en lui parlant de concertations nationales, de dialogue, de référendum, de gouvernement de cohésion nationale ou d’union nationale, de révision constitutionnelle, de décentralisation ou encore de réforme administrative, d’enrôlement des électeurs, etc. Autant de sujets polémiques qui divisent les opposants et qui permettent au pouvoir de gagner du temps. Il faut occuper l’esprit des opposants au régime par tout ce qui les éloigne de la conquête réelle du pouvoir. De tels débats les empêchent de s’intéresser à l’essentiel (la lutte pour le pouvoir) de sorte que lorsqu’ils se réveilleront, il leur sera trop tard pour s’organiser. C’est le principe de distraire pour régner qui vient renforcer celui de diviser pour régner.
L’initiative d’initier un dialogue (ou un dossier de lutte contre la corruption qui colle à ce régime comme la crotte d’un chien collée à la chaussure) doit être vue comme une volonté de distraire et de diviser l’opinion publique pour gagner du temps et arriver jusqu’à la fin du mandat sans dégât. Cette idée s’inscrit dans l’intention d’étouffer toute révolte populaire en suscitant quelque espoir. Il faut toujours faire croire à une ouverture là où il y a une fermeture totale. En politique, un bon stratège doit chercher à surprendre son adversaire de manière non violente. C’est lorsqu’il rencontre une résistance féroce et une détermination de son adversaire qu’il opte, en dernière analyse, à recourir à l’épreuve de force, c’est-à-dire à la violence. Jamais avant. Il faut paraître dit Machiavel. Il ne faut pas oublier que la politique est un lieu de grande fourberie, seuls les esprits faibles et naïfs croient à la bonne foi des acteurs politiques.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, les méthodes fortes ont reculé car elles ne font plus recette dans la politique interne. Seule la politique étrangère reste un terrain d’exercice de la violence.
Les hommes politiques fourbes savent qu’il suffit de créer les conditions d’un espoir pour que la vigueur de la contestation s’amoindrisse en faisant place au débat. Jetez-leur du riz, ils se querellent entre eux. Faites leur une proposition alléchante, ils détournent leur attention de l’essentiel. Il faut, à chaque étape, occuper l’esprit des opposants par de nouvelles idées alléchantes. Oui, il faut savoir entretenir l’espoir dans le but de durer au pouvoir.
C’est dans la socialisation des citoyens que l’on trouve les méthodes d’endormissement les plus efficaces. La socialisation aide à formater l’esprit des citoyens pour les pousser dès la naissance à se soumettre et à ne pas contester le pouvoir. Qu’elle soit familiale, scolaire ou politique, la socialisation limite les aptitudes à la contestation de l’autorité. Toujours distraire, c’est le maître mot.
Il faut, pour cela, occuper le peuple à se contenter d’autre chose que de l’essentiel. Pour qu’il ne s’intéresse pas au mode d’organisation sociale qui l’opprime, le pouvoir politique doit l’inciter à regarder ailleurs, en l’amenant par l’éducation à penser à la formation et à l’insertion professionnelle, à la vie de famille, aux activités dans le quartier, dans la société, etc. À chaque étape, il faut occuper la pensée du peuple par des débats futiles car un homme occupé a un horizon réduit et, plus il est occupé, plus il s’intéresse à ce qu’il fait et moins il est porté à contester l’ordre établi. Moins il tend à se révolter.
Il est nécessaire d’affamer le peuple pour l’obliger à s’occuper de sa survie plutôt que de la politique. À chaque fois que la contestation devient pressante, il faut lâcher du lest pour créer un nouvel espoir, diviser les opposants en cooptant certains par la corruption et par la distribution des postes au gouvernement. En procédant ainsi, on réduit leur tension.
Il faut savoir engraisser les esprits simples et naïfs qui vont soutenir le pouvoir même lorsqu’ils ne sont pas convaincus des bienfaits du régime. Un réseau de distribution des deniers publics, efficace et discret, doit être mis en place. Ceux qui combattent le pouvoir doivent être approchés subtilement. Il faut leur proposer de l’argent afin qu’ils se taisent et n’écrivent plus des critiques incendiaires contre le régime. Aux plus têtus, il faut proposer des postes politiques de courte durée afin de les discréditer auprès de leurs et de les détruire politiquement.
L’invitation au dialogue est une façon de contrôler à distance les préoccupations de l’opposition et de canaliser leurs idées. Il faut faire en sorte que les opposants n’aient pas la possibilité de tracer l’avenir de leur nation car ce rôle doit à tout prix revenir aux hommes du pouvoir et à eux seuls. L’opposition doit être réduite à se prononcer sur ce que le pouvoir lui propose pour la contraindre à se positionner : soit elle s’oppose soit elle accepte. On l’empêche de raisonner en occupant son mental. Ainsi, le processus de prise de décision sur l’avenir de la nation ne peut la préoccuper. Il faut faire en sorte que l’accès aux informations devienne de plus en plus difficile voire sélectif et impossible à ceux qui contestent l’ordre établi afin de donner libre cours à la spéculation.
En faisant régulièrement des propositions au peuple et à l’opposition auxquelles le décideur politique est le premier à ne pas croire, le pouvoir établi occupe le mental des gens et il creuse un fossé entre « eux et nous », entre le peuple et les élites du pouvoir. Il faut toujours susciter l’espoir et donner l’impression d’une ouverture réelle là où tout est verrouillé. C’est bien ce que l’on appelle : le marché de dupes. Pendant qu’ils débattent, le pouvoir réfléchit aux stratégies de sortie de la crise ou de l’impasse. Il faut toujours persuader et entretenir l’usure. Ne recourir à la violence qu’en dernière étape. Diviser l’opposition pour que ses acteurs se querellent. Entre-temps, le pouvoir gagne du temps avant de lancer une nouvelle proposition et de susciter un nouvel espoir.
Pendant que le peuple va à gauche, le pouvoir va à droite sans le dire. Pendant que le peuple va à droite, le pouvoir va à gauche sans le dire. La manipulation dans la conduite du peuple demeure le maître mot. Toujours faire croire que le pouvoir va dans la même direction que le peuple.
Pour éviter d’attirer un quelconque soupçon, il faut plus de divertissement émotionnel à la télévision que des débats instructifs car les esprits faibles aiment ce qui est ludique, futile et passionnel. Par tous les moyens, il faut empêcher le peuple de penser à l’essentiel. Son esprit doit être occupé par l’alcool, la musique et le sexe. Ces subterfuges doivent primer sur le reste car sans ces tranquillisants sociaux, le peuple s’intéresse à l’essentiel.
Pour ceux qui ont déjà adhéré au parti au pouvoir, il faut entretenir la peur de sortir du système et de ne plus bénéficier des conditions nécessaires au bonheur et à la vie facile. Ces femmes et ces hommes acquis au pouvoir surveilleront leurs compatriotes, comme un berger surveille son troupeau. Ils les dissuaderont de s’opposer. Il faut tout faire pour endormir la lucidité des opposants et du peuple. Tout ce qui facilite son éveil en mettant en cause le régime doit être étouffé, combattu et puni sévèrement. Sans action il n’y a pas de changement et donc pas d’évolution.
Le recours au dialogue ou au référendum sert à détourner l’attention de l’opposition et à gagner du temps en imposant à l’opposition et aux Citoyens les points de vue des gouvernants.
Fweley Diangitukwa, politiste
http://www.fweley.wordpress.com
Dans le même sens
Günther Anders dans son livre : « Die Antiquiertheit des Menschen » (L’obsolescence de l’homme) qu’il publie en 1956, écrit à la page 122 ceci :
« Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées.
Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste.
Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif.
On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.
On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.
Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur (qu’il faudra entretenir) sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur. L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu.
Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutienne devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant, qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir. »
Günther Anders dans son livre : « Die Antiquiertheit des Menschen » 1956 – p.122.