Archive | octobre, 2013

Avant les concertations nationales = après les concertations nationales

20 Oct

Quelques semaines après les travaux, plus personne ne parle de ces concertations nationales qui ont mobilisé des centaines de Congolais. Les organisateurs voulaient gagner en temps tandis que les participants voulaient gagner un peu d’argent. Les concertations nationales ont été un marché de dupes parce que chacun y est allé avec ses propres raisons. Les plus cupides attendent maintenant la formation d’un nouveau gouvernement, qui viendra ou ne viendra pas, tout en sachant que les conditions des Congolais ne changeront pas d’un iota. Entre-temps, les prisonniers politiques (Kouthino, Diomi, et Cie) n’ont pas été libérés, les Congolais de la diaspora sont traités comme des ennemis parce qu’ils s’expriment librement sur leur pays, les firmes transnationales continuent le pillage des ressources naturelles du Congo sans que l’Etat congolais ne dise un mot ni ne les stoppe, les Rwandais entrent et sortent du Congo comme s’ils étaient chez eux, l’Etat congolais ne ferme pas la frontière à l’Est ou ne rappelle pas notre ambassadeur au Rwanda. Comment peut-on, dans de telles conditions, convaincre les Congolais et espérer construire une cohésion nationale en convoquant simplement des concertations nationales ?

Dans un pays qui respecte ses citoyens, la cohésion  nationale est une affaire du Parlement car c’est dans cette Institution que se trouvent réunis tous  les représentants du peuple. Il suffisait donc de préparer un cahier des charges à mettre à la disposition des députés et de leur demander ensuite d’entrer en contact avec leurs électeurs (avec un message précis) pour espérer créer les conditions d’une cohésion nationale. Cela n’a pas été fait. Il suffisait également de montrer à tous les Congolais que le pouvoir traite les uns et les autres de la même façon. Or, cela n’est pas le cas. Si les Congolais des autres provinces (surtout ceux de l’Ouest et du Centre) sont régulièrement poursuivis, arrêtés et mis en prison, le même pouvoir n’a jamais arrêté un seul Tutsi malgré les crimes odieux qu’ils commettent à l’Est de la République. Les adeptes de Bundu dia Kongo ont été massacrés comme des lapins sauvages, c’est-à-dire sa pitié, parce qu’ils ont protesté contre les fraudes électorales qui ont placé un gouverneur qu’ils ne voulaient pas à la tête de leur province et parce qu’ils protestaient contre le recours à la corruption pour acheter les voix des députés élisant ledit Gouverneur. En revanche, pour les soldats rwandais qui pillent les ressources naturelles, qui tuent les Congolais et violent les femmes à l’Est, rien de fâcheux ne leur arrive. Une fois encore, comment peut-on, dans de telles conditions, convaincre les Congolais et espérer construire une cohésion nationale en convoquant simplement des concertations nationales ? En tout cas, dans six mois ou dans une année, personne ne parlera de ces concertations nationales sinon on en parlera comme s’il s’agissait une rencontre politique sans grande importance. Ces concertations n’auront pas le statut de la Table ronde ou celui de la Conférence nationale « souveraine ». Le Trésor Public a simplement dilapidé l’argent des contribuables.

Fidèle à sa mission d’anticipation, le CLD (Le Congo en légitime défense) attire l’attention du peuple congolais sur les enjeux à venir.

Il est malsain de cocufier un peuple entier et de l’appeler ensuite au dialogue pendant que l’origine du conflit n’a pas été résolue. Voilà la situation dans laquelle se trouve notre pays.

Au CLD, nous avons toujours eu l’avantage d’anticiper. En 2011, nous avons prévenu le peuple congolais sur la capacité des membres du PPRD de réviser l’article 220 de la Constitution (la réalité nous donne raison) et nous avons initié une pétition pour exiger l’élection des Sénateurs et des Gouverneurs de provinces au suffrage universel direct, c’est-à-dire par le peuple, afin d’éviter non seulement les fraudes à ce niveau mais aussi toute forme de clientélisme. Nous n’avons pas été compris parce que nous étions trop en avance par rapport au temps. Si, aujourd’hui, nous ne prenons pas le taureau par les cornes, le Ministre de l’Intérieur et la CENI – en appliquant la loi sur la décentralisation – vont placer dans toutes les provinces du pays des gouverneurs du PPRD ou proches de ce parti présidentiel afin de conserver le pouvoir (voir le cas récent dans la province d’Equateur). Ils vont, pour cela, recourir à de nouvelles fraudes électorales.

La fraude et l’approche clientéliste se trouvent déjà dans la restructuration de la Commission électorale Nationale Indépendante (CENI) où la majorité présidentielle, foulant au pied les règles de l’indépendance de la CENI, s’est octroyée 6 sièges et a accordé 4 sièges à l’opposition et 3 à la société civile. En comptant sur l’appui de leurs clients dans la société civile et dans l’opposition, le PPRD et alliés se sont assurés le contrôle du fonctionnement de la CENI à 95 %. Faut-il, à partir de là, accepter ce que le pouvoir impose au peuple, via l’institution dirigée par l’abbé fraudeur Malu Malu ? Non, il faut sortir de cette logique qui compromet notre avenir commun.

A peine placé à la tête de la CENI, l’abbé Malu Malu a déjà signé la première ordonnance dans laquelle il a renvoyé TOUT le personnel qui a travaillé avec l’équipe précédente car il ne voudrait travailler qu’avec ceux qui vont se soumettre aux stratégies qu’il mettra en place pour d’abord séduire et amadouer les Congolais et les surprendre ensuite en 2016. Qui vivra verra.

Si le président Joseph « Kabila », qui a été directement et profondément affaibli par les fraudes électorales à ciel ouvert et à grande échelle en 2011, décide ne pas se représenter (comme en Russie il y a quelques années) ou s’il est subitement voire brutalement écarté du pouvoir, le PPRD et ses alliés vont sans état d’âme organiser de nouvelles fraudes électorales en s’appuyant sur les gouverneurs qu’ils auront entre-temps placés partout. Ils ne s’en priveront pas car les fraudes électorales leur collent à la peau depuis 2006 comme la crotte d’un chien collée à chaussure. Pour cette raison et pour la paix sociale dans le pays, le CLD invite le peuple congolais à exiger la convocation d’une nouvelle conférence nationale véritablement souveraine et l’élection des Sénateurs et des Gouverneurs (qui sont actuellement sans mandat) au suffrage universel direct. Serons-nous compris pour éviter de nouvelles crises de légitimité ? Nous le souhaitons.

Notre pays serait mieux gouverné s’il y avait au sommet de l’Etat des nationalistes compétents et de bons stratèges. Hélas, depuis son indépendance, la RDC n’a eu que des leaders par défaut, des Patriarches et des leaders de typeWinner. La présence de ce type de leaders explique le mal congolais et notre sous-développement. Il est maintenant question de promouvoir des leaders de type Chef d’équipe,Créateur ou Sage. L’expérience vécue dans les pays étrangers montre que les leaders appartenant à ce second groupe constituent une garantie pour la stabilité et le développement d’une nation.

Fweley Diangitukwa

Président du CLD (Le Congo en légitime défense)

http://www.fweley.wordpress.com

Pour les fraudes électorales de 2006 organisées par l’abbé Malu Malu, lire Fweley Diangitukwa, Les fraudes électorales. Comment on recolonise la RDC, Paris, L’Harmattan, 2007.

Il est temps de sortir l’Afrique de l’impasse

16 Oct

Conférence de Dr Fweley Diangitukwa, politologue, professeur et Directeur de l’Ecole doctorale du groupe SWISS UMEF University, à l’occasion du 50e anniversaire de l’Union Africaine

Grande Salle des conférences des Nations Unies à Genève

Le 14 octobre 2013

 [Je remercie toutes les personnes qui m’ont longuement applaudi, à la fin de mon allocution, et ceux qui sont venus directement me féliciter et réclamer une copie de ce discours]

 

 

Il est temps de sortir l’Afrique de l’impasse

L’Histoire africaine est longue et riche. Mais cette Histoire a été régulièrement déformée par la volonté de l’Occident qui a donné naissance à l’Afrique d’aujourd’hui. Il n’y a pas de honte de dire et de reconnaître que les États africains sont les produits des Européens de l’Ouest.

Puisque la naissance de l’État en Afrique est le fait des puissances étrangères, seuls les dirigeants qui acceptent de jouer aux marionnettes à la solde de ces puissances dominantes et dominatrices restent longtemps au pouvoir. Si on n’a pas compris ce qui s’est passé pendant la colonisation, on ne peut pas comprendre l’Afrique d’aujourd’hui ni la source de sa misère, car le passé colonial a eu une lourde influence sur l’avenir des nations. D’où la nécessité de ressasser le passé afin de comprendre le présent.

Divisée et dominée par l’Occident qui lui a donné naissance, l’Afrique a beaucoup de peine à se donner une identité. Ses frontières sont celles définies par l’Europe coloniale, ses principales langues sont celles lui imposées par les envahisseurs, ses modèles culturels sont ceux de ses anciens maîtres. Devons-nous, pour autant, dire que l’Afrique n’existe pas ? Non. Toutefois, de tous les peuples colonisés en Amérique et en Asie, seuls les pays africains sont incapables de se rapproprier leur passé culturel. Pire, seule l’Afrique ouvre grandement ses portes à ses anciens maîtres qui organisent les pillages des économies du continent. L’ancien président français, François Mitterrand, a dit ceci, sans froid aux yeux : « Ce sont les pauvres qui financent les pays riches »[1].

Les pays africains achètent des armes démodées en Occident alors que les mêmes Occidentaux arment leurs affidés qu’ils placent à la tête des États ; ils arment en même temps des groupes rebelles qui combattent le despotisme étatique. Envieuse, l’Afrique regarde le développement des autres comme un modèle à suivre pour son propre développement au lieu de porter le regard sur elle-même et d’initier le démarrage économique avec les ressources naturelles énormes qu’elle possède. L’observation de la politique africaine montre clairement que la plupart des dirigeants africains écoutent plus les chefs d’États de puissances étrangères que leur propre peuple, ils défendent plus les intérêts des puissances et firmes étrangères qui les ont placés au pouvoir. Enfin, ils travaillent plus pour eux-mêmes que pour leur peuple.

Si les frontières, laissées par les colons et acceptées par l’ancienne Organisation de l’Unité africaine (OUA), sont source de conflits sanglants et réguliers, les Africains n’ont jamais voulu revoir ces frontières et négocier une nouvelle configuration de la carte géographique du continent. À part quelques tentatives d’unification qui ont été étouffées dans l’œuf, nulle part on voit émerger une Organisation qui s’inscrit dans la logique d’un réel rapprochement des peuples et d’abolition des frontières comme l’Union européenne a réussi de le faire. Cinquante-trois ans après l’indépendance, l’Union Africaine est encore loin, voire très loin, de ses objectifs de départ.

Les Africains se battent toujours, les uns contre les autres, pour défendre les intérêts des pays étrangers sur le continent. Qu’est-ce que l’Afrique a fait pour résoudre la guerre au Biafra, au Tchad, en Angola, en Somalie, en Sierra Léone, au Libéria, en Côte-d’Ivoire, au Mali, au Congo-Brazzaville ? Que fait-elle de positif en République démocratique du Congo ? Quelle est la position de l’Union Africaine sur la question du Sahara occidental ? À chaque crise majeure, l’Afrique attend l’intervention étrangère. Jusqu’à quand cette situation va-t-elle durer ? Quand deviendrons-nous responsables de notre propre avenir, de notre propre destin ?

En ce moment précis, les femmes sont violées en République démocratique du Congo, des enfants meurent ; dans ce pays, des soldats africains (Rwandais et Ougandais contre les Congolais) se battent entre eux et s’entre-tuent pour défendre et sauvegarder les intérêts des firmes étrangères qui vivent sur le dos de notre continent. Alors, nous reposons la question : que fait l’Afrique pour arrêter l’hécatombe ? Lorsqu’il y a eu moins d’un millions de morts au Rwanda, le monde entier s’est levé. On a vite parlé de génocide, même s’il n’en était pas un. Mais pour quelle raison ce même monde ne se lève-t-il pas pour le Congo ? Pour quelle raison, ne parle-t-on pas de génocide dans ce pays car l’intention ou la volonté de tuer les Congolais est librement affichée par les soldats des pays qui ont envahi la RDC ? Comment comprendre et expliquer le silence – sinon la complicité – des pays africains qui regardent les Congolais mourir de leur triste mort ?

Longtemps esclavagisés, dominés et colonisés, les Africains ne sont plus maîtres chez eux comme le sont les Européens et les Américains. Leur politique économique et culturelle et leur technologie sont largement calquées sur les anciennes métropoles et sur les innovations des maîtres du monde. D’une génération à l’autre et d’une décennie à l’autre, les pièges se multiplient pour l’Afrique. On passe d’une politique de développement à l’autre, d’une innovation à l’autre sans que l’Afrique maîtrise quelque chose. Elle est devenue un marché qui achète des machines et des armes démodées : un continent d’utilisateurs.

En considération la longue Histoire africaine, on a parfois l’impression que les Africains n’ont plus la force de découpler le passé et le présent pour faire face à leur destin. Ils se laissent fasciner par la culture et le système économique des autres et ils attendent que les solutions à leurs problèmes viennent des autres.

Selon Éric Toussaint et Arnaud Zacharie, la dette s’inscrit dans la politique de « recolonisation économique des pays pauvres »[2]. Comparant la dette des États-Unis et celle du continent africain, Anne-Cécile Robert écrit : « Si le système international avait quelque rationalité, ce sont les États-Unis qui devraient faire l’objet d’un ajustement structurel. Leur dette s’élève à un niveau supérieur à celui de l’Afrique subsaharienne. L’inégalité de traitement, le fonctionnement du système mondialisé et les rapports économiques globaux montrent que, plus de cinquante ans après la fin de la colonisation, l’Afrique demeure une terre de rente pour les sociétés du Nord »[3]. Les mêmes bailleurs de fonds et les mêmes pays tiennent encore des discours alléchants pour faire croire que les pays africains s’en sortiront en entrant pleinement dans la globalisation. Malgré leurs discours optimistes, on observe que parmi les quarante-neuf pays les moins avancés (PMA), trente-trois se trouvent en Afrique subsaharienne.

La mondialisation contribue à la crise de légitimité de l’État africain. Elle contribue à l’appauvrissement des Africains qui vendent toutes leurs ressources naturelles aux puissances étrangères, sans vraiment se soucier de leur propre développement. Comment l’Afrique initiera-t-elle le développement lorsqu’il n’y aura plus de pétrole, d’uranium, de coltan, etc. ?

Posons la question qui gêne et que les Africains ne posent pas sur la place publique. D’où vient l’argent avec lequel l’Occident prétend aider l’Afrique ? N’est-ce pas du bénéfice des pillages successifs des économies africaines ? Au lieu de revendiquer sa dignité et d’être fière de son passé glorieux, car elle est le berceau de l’Humanité, l’Afrique se laisse infantiliser et dominer à cause de l’aide au développement et de l’aide humanitaire qu’elle reçoit alors que c’est elle – l’Afrique – qui enrichit les puissants par ses ressources stratégiques comme l’uranium, le coltan (colombite-tantalite), la cassitérite, le manganèse, le pétrole, le cacao, etc. qu’elle vend à bas prix. Pour Thomas Sankara, l’Afrique doit refuser l’assistance qui « développe la mentalité d’assisté ». Il faut, pour cela, pousser les élites locales à tourner leurs regards vers les réalités africaines et à tropicaliser la gouvernance en s’appuyant sur l’arbre à palabres afin de retrouver la dignité qui permettra aux Africains de relever leur tête trop longtemps courbée. Les élites gouvernantes doivent parvenir à construire un discours cohérent sur l’Afrique et pour l’Afrique afin de sortir de la dépendance. L’Occident n’abandonnera jamais par lui-même son arrogance car les pertes seront trop grandes et parce qu’elle ne trouve pas de raison de ne pas assurer son omniprésence et son omnipotence technologique et culturelle sur le continent.

L’aide occidentale n’a jamais contribué au développement du continent. « Les études économiques montrent que 60 % à 80 % de l’aide de l’Union européenne revient dans l’Union sous forme d’achat d’équipements, de services et d’honoraires »[4]. En réalité, l’aide occidentale n’aide pas l’Afrique à se développer. Pour cette raison, il faut sortir de la logique de l’aide qui n’est qu’une forme de perpétuation de la domination coloniale en Afrique. L’Occident aide l’Afrique pour montrer sa puissance et pour éviter la révolte des dominés. L’aide sert à entretenir la soumission. Dans ce sens, « l’assistance ne serait alors que le nouvel habit de l’arrogance occidentale »[5]. Quelle que soit la situation, les Africains doivent avoir le courage de refuser l’aide qui les asservit afin de sortir définitivement de l’impérialisme occidental. L’aide n’est qu’une forme déguisée de restituer le surplus de bénéfice qui a été volé dans les pillages systématiques des économies africaines. En lieu et place de l’aide, les États africains doivent exiger la vente de leurs matières premières aux prix qu’ils fixent eux-mêmes car l’établissement injuste des prix des produits africains par des bourses étrangères n’est pas moralement juste. C’est cela la véritable voie de sortie de la dépendance. Les Africains doivent apprendre à commercer davantage entre eux, à s’enrichir par la production et la transformation des denrées et des minerais, en donnant de la valeur ajoutée à leurs produits et à leurs propres monnaies. Ils doivent s’entendre pour créer un marché commun et une monnaie unique comme l’Union européenne l’a fait. Au-delà, ils doivent parvenir à créer une armée unique sur le modèle de l’OTAN afin de protéger les ressources naturelles du continent contre les pillages réguliers des firmes transnationales qui s’entendent avec les dirigeants au grand dam des populations. Contrairement à tout ce qui est dit et écrit dans la presse, pratiquement toutes guerres du continent sont d’origine économique mais souvent présentées comme des conflits ethniques et religieux. En tout cas, les États africains doivent inventer des solutions qui répondent aux maux qui rongent le continent. C’est par la création des dynamiques internes que les Africains s’en sortiront, mais jamais avec l’aide occidentale qui piétine la dignité des Africains.

L’aide permet à l’Occident de maintenir une logique d’assistance qui le conforte dans sa position de domination et de donneur des leçons aux pays pauvres. L’aide invite les Africains à ne pas se révolter contre les « généreux donateurs » alors que ce sont ceux qui organisent les pillages des ressources naturelles et qui achètent les matières premières à des prix bas imposés par eux-mêmes. « Pour bien intentionnée qu’elle soit, l’aide est l’expression d’une sujétion »[6]. D’après les propos du psychiatre béninois, Christian Houegbe, « la logique de l’impérialisme tient dans cette formule : donner pour dominer »[7]. L’aide enlève aux Africains la possibilité de prendre conscience et de trouver d’autres solutions aux problèmes qu’ils rencontrent. Elle renforce la dépendance du continent.

L’Afrique n’a jamais cherché à dominer les autres nations. « L’Afrique noire a subi l’esclavage des Arabes ; elle a subi la traite transatlantique et la colonisation ; elle subit aujourd’hui le capitalisme – invention occidentale – dans lequel elle s’est inscrite, de manière plus ou moins consentante. Le modèle économique et la division internationale du travail qui en découlent – imposés par les colonisateurs et aujourd’hui généralisés – a été conçu ailleurs, en Occident et étendu à partir de lui »[8] sur toute la planète.

La traite et l’esclavage sont des crimes contre l’humanité qui doivent être reconnus et réparés pour établir de nouvelles relations entre les exécutants et les victimes. Sans cela, il sera difficile, voire impossible, de porter ensemble un regard neuf vers le futur. Le Japon l’a fait en demandant pardon aux Coréens. Le pape Jean-Paul II l’a fait en demandant pardon aux victimes en Afrique. Il reste les États européens à reconnaître officiellement les crimes commis par leurs ancêtres et à les réparer même si l’on sait qu’il est impossible de dédommager les victimes directes de cet abominable commerce des humains. Ce pas n’a été franchi, jusqu’à présent, par aucun pays européen. Or, de l’avis des psychologues, une victime n’est complètement guérie que lorsqu’elle ne demande plus rien à son bourreau.

La liberté rend un peuple plus fier, plus digne et plus apte à se mesurer aux autres et à contribuer au progrès de l’humanité. Les Africains – dans leur ensemble – n’ont pas encore atteint ce niveau car ils ne sont pas fiers d’eux-mêmes. Il appartient aujourd’hui à l’Union Africaine de réfléchir à des stratégies qui permettront aux Africains de relever leur front longtemps courbé. Ce travail doit commencer par la mise en place d’un véritable Think Tank qui aura comme principale responsabilité de tracer les chemins de l’Afrique de demain. Nous sommes prêts à contribuer dans cette voix.

Il faut pousser l’Afrique à sortir définitivement du complexe d’infériorité qui colle à sa peau. Si le principe d’égalité et de respect mutuel est établi, l’Occident abandonnera son complexe de supériorité qui l’empêche de mesurer les drames qu’il a causés – et qu’il cause encore – à l’humanité tout entière.

Les pays d’Asie et d’Amérique du Sud, qui ont bien compris les stratégies des dominants, parviennent à tirer leur épingle du jeu, c’est-à-dire à bien s’en sortir de cette situation confuse, en se désolidarisant ou en se retirant habilement, sans dommage et à temps, d’une relation avec l’Occident qui n’est pas bénéfique pour eux.

En Afrique, tout mouvement de nationalisme a été réprimé dans le sang, souvent avec le concours des dirigeants nationaux. Apeurés et découragés, les Africains ont fini par abandonner leur pays aux ravages des firmes transnationales qui pillent tout dans leur passage. Anne-Cécile Robert écrit : « La machine infernale, utilitariste et violente, de l’économisme qui réduit tout à l’état de marchandise – dont l’Occident néolibéral a fait son habit de lumières – heurte l’âme des sociétés de l’Afrique subsaharienne. »[9]

Si les élites africaines pouvaient prendre conscience de la fécondité du modèle de l’arbre à palabres et cesser de se laisser couler dans le modèle dominant de la gouvernance à l’occidentale, elles gagneraient énormément en dignité et rendraient service à leurs peuples. Le manque de fierté et de dignité est ce qui freine l’Afrique à aller de l’avant.

Les Africains doivent maintenant s’octroyer la liberté de décider par eux-mêmes et pour eux-mêmes quel qu’en soit le prix à payer. C’est par cette voie qu’ils apprendront à défendre et à sauvegarder leur souveraineté. Cela commence par une prise de conscience collective. Aussi longtemps que les élites politiques et intellectuelles n’ouvriront pas cette voie, il sera difficile de voir l’Afrique entrer dans la prospérité et la stabilité politique.

L’Afrique ne s’en sortira qu’en rouvrant les pages de son propre passé et en se plongeant dans son propre patrimoine culturel dans lequel elle puisera sa fierté et sa dignité tout en ouvrant aussi la voie vers un autre monde, plus juste et plus humain.

Pendant que nous célébrons ici le 50e anniversaire de l’Union Africaine, le peuple de la République démocratique du Congo attend une solution durable qui viendra des Africains afin de mettre fin au drame. L’homme n’a qu’une vie. Ne laissons pas les Congolais mourir seuls, dans l’indifférence totale des autres Africains. Unissons-nous pour mettre fin à la guerre dans ce pays.

J’ai dit et je vous remercie.

Fweley Diangitukwa

Nota bene. Ce texte est un extrait d’un manuscrit. Il ne sera jamais reproduit sans l’autorisation de l’auteur qui portera plainte contre tout emploi abusif.


[1] François Mitterrand, « Lettre à tous les Français », in Fweley Diangitukwa, Quelle solution pour l’Afrique ?, édition Afrique Nouvelle, 1993, p. 40.

[2] Se référer à Éric Toussaint et Arnaud Zacharie, Dette et ajustement structurel. Sortir de l’impasse, Paris, Syllepse, 2002.

[3] Anne-Cécile Robert, L’Afrique au secours de l’Occident, Paris, Les éditions de l’Atelier, 2006, p. 50.

[4] Raoul-Marc Jennar, « Nouvelles formes de colonialisme européen », in L’Accord de Cotonou, les habits neufs de la servitude, Bruxelles, Colophon, coll. « Essais », 2002, p. 59.

[5] Anne-Cécile Robert, L’Afrique au secours de l’Occident, op. cit., p. 21.

[6] Ibid., p. 97.

[7] Ibid., p. 97.

[8] Ibid., p. 23.

[9] Anne-Cécile Robert, L’Afrique au secours de l’Occident, op. cit., p. 28.