Archive | juin, 2012

D’où venons-nous, où sommes-nous et où allons-nous?

24 Juin

Conférence de Fweley Diangitukwa (politologue), à Lille

Le 23 juin 2012

 Notre passé lointain

 Lorsque le roi des Belges, Léopold II, s’était approprié, l’immense Etat indépendant du Congo, l’adjectif « indépendant » avait une autre signification. Il était l’équivalent à « privé ». Le Congo était une colonie privée au plan de sa gestion politique mais ouverte au plan de sa gestion économique. C’est bien ce qui avait été décidé en 1885 à la Conférence de Berlin et accepté par Léopold II. Toutes les grandes compagnies coloniales de l’époque avaient accès aux ressources naturelles du Congo : Belges, Allemands, Britanniques, Canadiens, Etats-Uniens, Français, etc. étaient complices des crimes commis au Congo et ils imposaient leurs lois dans l’exploitation des minerais congolais. Chaque puissance profitait du commerce fondé essentiellement sur le caoutchouc. Plus de dix millions – avez-vous entendu ? – plus de dix millions de Congolais périrent pour enrichir la Belgique et les autres Etats occidentaux. De sorte que la population qui était estimée à environs 22 millions d’habitants lorsque Léopold II a acquis le domaine congolais ne comptait plus qu’environ 12 millions d’habitants à l’indépendance. L’historien belge Jean Stengers a dit que le roi des Belges, Léopold II, était : « le plus grand impérialiste de l’histoire contemporaine »[1]. La Belgique n’a jamais payé pour les crimes qu’elle a commis au Congo. Elle n’a jamais été condamnée. Le Congo était la colonie qui avait le plus souffert de toutes les colonies. Il a été celle qui a perdu le plus d’hommes et celle qui a gardé le plus grand traumatisme. Les travaux forcés, qui servaient à enrichir la Belgique et le monde capitaliste, étaient d’une rare férocité. Que ceux qui veulent en savoir plus sur cette période lisent le livre de Adam Hochschild, « Les fantômes du roi Léopold »[2] ou d’autres livres qui traitent la même question. Le roi des Belges n’a exploité le Congo à titre privé que pendant 23 ans, de 1885 à 1908 avant de le céder à son pays la Belgique qui a continué l’œuvre du roi pendant 52 ans. Mais combien les Congolais n’ont-ils pas payé ? Aucune colonie au monde n’a autant souffert que le Congo. Cette année 2012, le Congo totalise 52 ans de son indépendance nominale depuis le 30 juin 1960. Mais combien les Congolais n’ont-ils pas payé depuis cette date ?  Patrice Lumumba a été sauvagement assassiné, quatre ministres ont été publiquement pendus en 1965, le Congo a connu une suite de dictature sanglante, des étrangers se sont emparés de notre pays et ont pris les institutions nationales en otage, plus de huit millions de Congolais sont morts. Notre pays connaît un lot de viols de femmes, de violation des droits de l’homme, des assassinats, des emprisonnements des innocents, etc. Aucun pays souverain au monde ne souffre aujourd’hui autant que le Congo. Nous venons de passer 52 ans perdus car gaspillés sans aucune modernisation de l’Etat et sans développement de la nation.

 Notre passé immédiat

 La Belgique est un pays pauvre en ressources naturelles alors que le Congo est riche, immensément riche. Mais paradoxalement, c’est le Congo qui dépend de la Belgique et qui attend une aide de ce pays. Comment se fait-il que le Congo, qui est naturellement plus riche que la Belgique et doté de fabuleuses ressources stratégiques convoitées par le monde entier, ne décolle pas économiquement ? Pour quelle raison les autres nations qui étaient aussi des colonies (en Asie et en Afrique) se développent-ils tandis que le Congo recule ?

La réalité montre que la Belgique aide le Congo avec ce qu’elle puise au Congo. En fait, elle restitue tout simplement le surplus de son bénéfice. Ne devons-nous pas inverser le courant en imitant ce que les treize colonies britanniques – les Etats Unies actuels – avaient fait vis-à-vis de leur ancien maître : la Grande-Bretagne ?

Est-il encore permis aujourd’hui d’avancer les mêmes causes pour expliquer les difficultés que rencontre le Congo dans son développement, à savoir : le poids des traditions, l’absence de démocratie, la mauvaise gouvernance, le faible taux d’investissement, etc. ? Ces raisons sont-elles suffisantes ou est-ce que c’est plutôt notre ignorance collective des enjeux du monde qui explique mieux les difficultés de notre pays ? Quelles sont les vraies pesanteurs : les valeurs traditionnelles, les religions, les modèles culturels hérités de la colonisation, la dépendance de notre pays, le mimétisme aveugle du droit occidental et des institutions politiques occidentales ?

 Où sommes-nous ?

 Les colons étaient physiquement partis dans les années 1960 mais, en réalité, ils sont partis pour vite revenir sous d’autres formes, sinon, ils ne sont jamais partis. Comme un serpent, ils ont fait une mue. Les colons belges ont quitté Léopoldville pour s’installer à Elisabethville avec Moïse Tshombe à la tête de leur nouvel Etat, puis ils sont revenus à Kinshasa en 1965 avec Mobutu à la tête du Congo.

« Si la colonisation a cessé officiellement d’exister comme activité politique, elle perdure aujourd’hui sous une forme économique, technologique, financière, militaire, culturelle, etc. Elle s’appelle désormais ‘aide publique au développement’, parée des habits neufs de l’humanisme et de la coopération internationale. Si la colonisation officielle a été abolie dans les années 1960, le colonialisme, lui, est loin d’avoir disparu. Il est bel et bien là, mais il a changé de visage, de méthode, de stratégie et de discours. Il a inventé de nouvelles formes d’action pour mieux installer et pérenniser sa présence. La finance a remplacé la politique, les sociétés multinationales ont remplacé les Etats métropolitains. Les coopérants (enseignants, chercheurs, médecins, juristes, économistes, journalistes) et les experts en développement (techniciens, ingénieurs, agronomes, architectes) ont succédé aux colons. Les ministères des Colonies sont devenus des ministères de la Coopération internationale »[3]. En vérité, l’aide publique au développement est une autorisation publique à piller davantage les matières premières de notre pays.

La colonisation était basée sur le mercantilisme. Le pillage des ressources naturelles du Congo est basé sur le même mécanisme. En réalité, rien n’a changé. Les colons ont été remplacés par des affidés que moi j’appelle laudateurs ou mercenaires nationaux. Ils pullulent en RDCongo. D’un régime à l’autre, ils pillent l’économie du Congo.

L’indépendance n’a pas supprimé la mort imposée, les souffrances atroces, la misère inhumaine et la faim ; elle n’a pas créé des emplois. Les nouveaux maîtres – des Africains cette fois-ci – ont vite fait de ressembler aux anciens maîtres en copiant leurs méthodes de domination, leur constitution et leur système de gouvernement. Ces dirigeants ont vite appris à jouer les godillots. Le professeur Musanji Ngalasso-Mwatha dit : « Ces hommes de paille, placés là comme de gardes-chiourme et de vautours frelatés, organisant sans vergogne le pillage de leurs propres pays aux fins de servir, tels des chiens couchants obéissant au doigt et à l’œil, les intérêts des maîtres étrangers, moyennant la garantie de rester au pouvoir ad vitam aeternam. Ils se sont empressés de profiter des avantages qu’ils pouvaient tirer de la manne nationale à leur seul bénéfice, en s’assurant, avec le soutien et la complicité des anciennes puissances coloniales, la pérennité d’une sorte de rente de situation : ‘Je suis, j’y reste’ »[4]. Les élections n’obéissent à aucune loi. Les puissances occidentales ont pris les armes pour mener la guerre contre la Côte d’ivoire sous prétexte que le président sortant, Laurent Gbagbo, a organisé des fraudes électorales, mais lorsqu’il s’agit de la RD Congo où il y a eu des fraudes électorales attestées publiquement par les observateurs de l’Union européenne, c’est-à-dire leurs propres observateurs, les mêmes puissances occidentales deviennent aphones. Elles refusent d’intervenir car leur propre pion est à la tête de notre pays. Au Congo, les prétendus démocrates sont subitement des anti-démocrates pour protéger leurs intérêts. Ce qui s’est passé au Congo a clairement montré que les pays occidentaux qui parlent de démocratie ne sont pas des démocrates. Ils s’habillent de cette théorie pour endormir les peuples du tiers-monde. L’ayant compris, nous n’avons plus de raison de compter sur eux pour notre épanouissement et pour la stabilité de nos institutions. Les Occidentaux n’interviennent jamais au nom de la démocratie (qu’ils prennent comme un prétexte) mais pour garantir leurs intérêts. Dans tous les pays faibles d’Afrique, ils ont besoin d’avoir des représentants fidèles qui travaillent pour eux. La démocratie est un idéal qu’ils n’ont jamais respecté dans leurs relations avec les pays du tiers-monde.

Comme avant l’indépendance, le Congo est abandonné à son propre sort. Le monde lui a tourné le dos. Nous devons nous libérer seuls, sans le monde. Voilà le travail qui nous reste à faire.

 Où allons-nous ?

 1.   Jusqu’à présents, Nous avons été incapables de valoriser nos propres traditions identitaires et de les promouvoir en réalisant une conjonction intelligente entre notre héritage millénaire et les éléments d’emprunt. Les Chinois et les Japonais l’ont fait et ils sont redevenus eux-mêmes là où nous avons perdu notre âme en perdant notre foi en notre Créateur – le Vrai. Le rendez-vous du donner et du recevoir dont parlait Léopld-Sédar Senghor, sans le réaliser, est à ce prix. Tant que nous ne chercherons pas à retrouver notre âme et nos valeurs, ils nous feront perdre notre temps dans leurs églises de sommeil qu’ils nous présentent comme des églises de réveil. Dieu n’est pas en dehors, Il est en nous. L’Occident nous a appris un Dieu livresque, un Dieu écrit que nous cherchons inlassablement sans jamais Le rencontrer. « Il est écrit… ». Mais qui a écrit ? Les pasteurs des églises terrestres et horizontales s’enrichissent aux dépens des fidèles naïfs qui croient en eux et qui passent par eux pour aller à la rencontrer de Dieu. Les églises de réveil sont devenues un business lucratif. Parce que nous avons tourné le dos à Dieu, Il a cessé de nous écouter.

2.   Le savoir est indissociable du progrès, il conditionne le développement. Or, les Congolais, en général, n’accordent aucune importance au savoir. Ils n’aiment pas la culture et refusent la lecture. De tradition orale, ils préfèrent écouter et commenter le maboke et le théâtre de chez nous à la place de lire de bons livres. Ils préfèrent tout ce qui n’exige pas d’effort et qui s’inscrit dans la logique chance eloko pamba. Parce que nous préférons réussir sans le moindre effort, nous échouons lamentablement. On ne triche pas avec le développement.

3.   Nous ne devons pas, et ne devons plus, compter sur les pays occidentaux qui, défendant orgueilleusement les droits de l’homme dans les enceintes onusiennes, « s’empressent de fermer les yeux sur ces principes dès l’instant où leurs intérêts économiques ou géopolitiques sont en jeu »[5]. Le roi des Belges est allé au Congo, pour fêter ensemble le 30 juin 2010, après l’assassinat de Floribert Chebeya et de son chauffeur Bazana. Chez les Occidentaux, seuls les intérêts économiques – c’est-à-dire leur bonheur – comptent. Les Africains ne comptent pas parce que, selon l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, les Africains ne sont pas encore entrés dans l’Histoire[6]. Il l’a dit soit parce qu’il ignore l’Histoire soit par mépris pour l’Afrique et pour les Africains. Dans son discours à Accra en juillet 2009, le président américain Barack Obama, n’a pas condamné les Etats et les entreprises transnationales qui pillent l’Afrique et qui mènent la guerre contre les Etats africains afin de les affaiblir et les mettre à genou pour les dominer facilement. Le président américain Barack Obama a demandé aux Africains de se prendre en charge et d’assumer la responsabilité de leur avenir. Il a demandé aux Africains de cesser d’imputer les maux du continent aux anciens colonisateurs, alors qu’il savait pertinemment bien que le monde vit dans des rapports de force qui ne permettent pas aux Africains de redresser leurs fronts sans être combattus par les Grandes puissances, alors qu’il savait pertinemment bien que les chefs d’Etats africains sont pour la plupart les représentants des puissances occidentales, alors qu’il savait pertinemment bien que ce sont les firmes transnationales qui pillent les matières premières des pays africains ? Comment est-il possible de demander à une victime de pas imputer la source de son malheur à l’auteur de ses brimades ? Le président américain Barack Obama a-t-il pensé à cela ?

4.   Le monde est dirigé par de sociétés secrètes très puissantes et par les vendeurs d’armes. Tant que les Congolais et les Africains ne comprendront pas cela, ils seront continuellement dominés.

5.   Les indépendances africaines n’ont pas été données de gaieté de cœur, elles sont nominales, verbales. L’indépendance réelle des Etats africains ne viendra jamais des anciens pays colonisateurs car la liberté ne se donne pas, elle s’arrache, par la force s’il le faut. Je répète : le monde a toujours été dirigé par les empires et les pays les plus forts et ce n’est pas demain que cette réalité changera. Alors, chers compatriotes, trouvons les moyens d’assurer et d’assumer notre souveraineté. Nous devons sortir de l’aide occidentale qui souille notre honneur, qui infantilise les dirigeants et le peuple et accroît la dépendance de notre pays vis-à-vis des pays étrangers. Nous devons comprendre que l’aide au développement n’est rien d’autre qu’un retour du surplus de ce que les donateurs ont puisé dans l’économie de notre pays afin de poursuivre leur pillage. Sortons de cette spirale infernale de la dépendance. Cessons d’être des assistés, car c’est par l’aide au développement que les pays étrangers parviennent à nous imposer leurs représentants et à interférer dans les affaires intérieures de notre pays, qu’ils financent les fraudes électorales, comme en 2006 et en 2011, qu’ils parviennent « à jouer à la fois les pompiers et les pyromanes »[7]. C’est par l’envoi des experts – les nouveaux colons – qu’ils parviennent à nous contrôler de l’intérieur et à nous lier. Apprenons à connaître et à maîtriser les enjeux du monde. Les relations Nord-Sud ne fonctionnent pas sur la base de transparence et d’échanges équitables. Pour que les chefs d’Etat rendent des comptes au peuple et non plus aux Etats étrangers qui les ont placés au pouvoir, ils doivent être choisis par le peuple qui doit devenir exigeant et intransigeant. Après avoir pris sa retraite, l’ancien responsable suisse de l’aide au développement, Walter Fust, a dit : « L’aide au développement ne vise pas à réduire la pauvreté, mais sert les intérêts des pays donateurs ». Chers compatriotes, arrêtons de rêver et d’être naïfs. Aucun pays au monde n’aide le Congo. Les pays qui prônent l’aide au développement, s’aident eux-mêmes à nos dépens.

6.   Depuis l’indépendance, les hommes forts se succèdent au pouvoir sans qu’ils luttent contre l’impunité et contre la corruption, sans qu’ils contribuent au changement des mentalités par une révolution culturelle, sans qu’ils se réfèrent aux exigences de la gouvernance comme mode de fonctionnement de notre société.

7.   Pendant la colonisation, les colons qui étaient en Afrique n’étaient pas les vrais maîtres. Ils étaient au service d’autres maîtres restés en Occident. Rappelons que le roi des Belges, Léopold II, a dirigé le Congo sans jamais y mettre pied. Il était valablement représenté par des colons qui exécutaient fidèlement ses lois scélérates. Aujourd’hui, les chefs d’Etat et de gouvernement sont au service des pouvoirs financiers internationaux qui restent dans les capitales occidentales. Au Congo et en Afrique, les affidés remplissent fidèlement les missions leurs confiés par les cosmocrates du monde, pour employer une expression chère au sociologue genevois Jean Ziegler. Je voudrais dire que les acteurs invisibles sont plus dangereux que les acteurs visibles. Ils sont plus dangereux parce qu’ils n’ont pas de visages. Il nous reste à lutter contre les acteurs sans visages qui polluent notre mental et compromettent notre avenir. Puisqu’il en est ainsi, commençons notre développement par ce qui fait notre défaut et qui retarde notre décollage économique, j’ai nommé les rapports de force inégaux face à l’extérieur. La réponse adéquate à cette carence se trouve dans l’intégration régionale. Voilà pourquoi nous devons imiter la marche des treize colonies britanniques qui avaient décidé de s’unir pour former les Etats Unis actuels afin de concurrencer leur ancien maître : la Grande-Bretagne. Voilà pourquoi nous devons imiter la marche de l’ancienne Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA) qui s’est muée en CEE (Communauté économique européenne) avant de devenir Union européenne et de constituer une force qui concurrence d’autres puissances militaires et financières, comme les Etats Unis et la Chine. Commençons petit à petit en créant une intégration régionale entre l’Angola, la RDC et le Congo-Brazzaville. D’autres pays d’Afrique centrale, situés à l’Ouest et ayant un accès à l’Océan atlantique, comme le Gabon, la Guinée équatoriale, Sao Tomé et Principe, le Cameroun, viendront se joindre à ce premier noyau.

8.   Notre impossibilité de nous entendre à la Conférence nationale (souveraine) a facilité l’arrivée à la tête de l’Etat d’un personnage incompétent, taciturne, fourbe, fraudeur et grotesque qui joue, à l’insatisfaction de tous, le piètre rôle d’un chef d’Etat sans honneur. Notre malheur actuel vient d’une faute commune : il s’agit de notre manque d’anticipation qui a causé, en grande, partie les errements à l’origine de l’entrée de l’AFDL et de la crise actuelle. Sommes-nous capables de nous corriger pour sauver la République ? Notre pays ne doit pas être éternellement une réserve de matières premières destinées au développement d’autres pays. Nous devons apprendre à transformer notre uranium, notre or, notre diamant, notre coltan, notre cassitérite, notre cobalt, notre cuivre, notre manganèse, notre etc. afin que ces ressources naturelles contribuent au développement de notre propre pays. Nous avons assez servi, maintenant, ça suffit. Puisque l’espace politique est ce qu’il y a de plus difficile à construire, commençons par créer une flotte aérienne et navale commune, des universités communes, des routes et des chemins de fer interconnectés, des ministères d’intégration régionale, des marchés communs, etc. Apprenons à mieux nous connaître avant d’avoir une armée commune qui protégera nos frontières communes et avant d’être dirigés par le pouvoir fédéral des Etats Unis d’Afrique centrale. Comme le dit le professeur Musanji Ngalasso-Mwatha : nous devons parvenir à « réinventer notre école pour l’adapter aux besoins de ses citoyens ; miser sur l’intelligence et la matière grise davantage que sur les matières premières »[8].

Le Congo n’est pas encore sorti du pacte colonial scellé à Berlin 1885 entre grandes puissances pour exploiter en commun les ressources naturelles de notre pays. A chaque étape de notre Histoire commune, elles placent leur représentant à la tête du Congo. Les pays puissants du monde se moquent de nous parce que nous sommes incapables de nous unir dans un projet commun comme les Pères de l’indépendance du Congo ont eu le courage de le faire en 1960.

L’heure de nous unir vient de sonner. Elle sonne. Maintenant. Unissons-nous pour le bonheur du Congo et pour sauver les générations futures. C’est à ce prix et à ce prix seulement que le Congo entamera une lente remontée vers la lumière. J’ai dit et je vous remercie.

 Lille, samedi 23 juin 2012.


[1] Jean Stengers, « Léopold II (1835-1909) », in Denise de Saivre (dir.), Il y a cent ans… La conférence de Berlin (18884-1885). Vers le partage de l’Afrique au nom de la liberté…, Nouvelles Editions africaines, Abidjan-Dakar-Lomé, 1985, p. 21.

[2] Adam Hochschild, Les fantômes du roi Léopold, Paris, Belfond, 1998.

[3] Musanji Ngalasso-Mwatha, in 50 ans après, quelle indépendance pour l’Afrique, éditions Philippe Rey, 2010, p. 371.

[4] Ibid., p. 374.

[5] Musanji Ngalasso-Mwatha, in 50 ans après, quelle indépendance pour l’Afrique, éditions Philippe Rey, 2010, p. 369.

[6] Discours de Nicolas Sarkozy à Dakar, le 26 juillet 2007.

[7] Musanji Ngalasso-Mwatha, in 50 ans après, quelle indépendance pour l’Afrique, éditions Philippe Rey, 2010, p. 371.

[8] Ibid., p. 378.

Darwin et l’origine des espèces ou la sélection naturelle dans la société congolaise

12 Juin

Fweley Diangitukwa

www.fweley.wordpress.com

Quand j’étais enfant, j’aimais la biologie et la géographie parmi les cours classés dans le troisième groupe au programme scolaire. Il faut dire que les étudiants des humanités littéraires n’accordaient pas beaucoup d’importance à ces cours. Mais comme j’étais initialement destiné à faire des études scientifiques – c’est par hasard que je me retrouvais aux humanités littéraires –, je prenais en quelque sorte ma revanche en me passionnant à ces deux disciplines, et principalement à la biologie. Aujourd’hui, de tout ce que j’ai appris, je ne garde que quelques bribes. Parmi mes souvenirs, il y a cette histoire de sélection naturelle.
Le 24 novembre 1859, le naturaliste britannique, Charles Darwin, publie son livre : « De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la lutte pour l’existence dans la nature ». Dès sa sortie, ce livre connaît un succès immense. Charles Darwin explique que les espèces descendent des mêmes ancêtres et qu’elles ont évolué selon le principe de la sélection naturelle. Darwin entend par « sélection naturelle » le fait que la nature choisisse les plus aptes à survivre dans leur environnement, afin d’améliorer les espèces. Ce processus naturel détermine l’évolution de chaque espèce, puisque les caractéristiques qui ont favorisé la survie sont sans cesse transmises de génération en génération.

Ce que dit Darwin se vérifie dans la vie animale et humaine. Les oiseaux de même plumage volent toujours ensemble. Il est rare sinon difficile, voire impossible, d’observer un moineau qui vole à côté d’un corbeau. Chacun tend à retrouver son espèce pour faire route ensemble. C’est donc normal que l’hirondelle et la perdrix ne volent pas souvent ensemble, même s’ils appartiennent à la race des oiseux.

La difficulté commence lorsque l’on vit dans un milieu où la confusion existe.

Un condisciple me raconta cette histoire

 La nuit, lorsque les oiseaux nocturnes volaient, ils prenaient la chauve-souris pour l’un d’eux et, la journée dans la grotte, les souris considéraient la chauve-souris comme un membre de leur espèce. Tant que la chauve-souris volait la nuit parmi les oiseaux nocturnes, il n’y avait jamais de problème. Mais, un jour, excédée par ses prouesses, la chauve-souris décida de voler en plein jour. Puis, il se posa au milieu d’autres oiseaux qui piquaient du maïs dans un champ. Pour attraper plus de graines, la chauve-souris se mit à courir comme une souris. Cela attira la curiosité des autres oiseaux qui commencèrent à la soupçonner.

D’habitude, la chauve-souris rentrait en pleine nuit dormir dans la grotte où les rats la prenaient pour un membre de leur espèce parce qu’elle courait comme eux. Un jour, pendant que les rats étaient en pleine réunion, la chauve-souris commit l’imprudence de voler. Les rats furent estomaqués. Pour avoir le cœur net, ils décidèrent de poser directement la question aux oiseaux pour savoir si la chauve-souris était leur semblable. Dès la première rencontre, les oiseaux rétorquèrent en disant aux rats : nous avons toujours voulu vous poser la question de savoir si la chauve-souris était l’un de vous. De commun accord, ils décidèrent de convoquer la chauve-souris et de la tester, séance tenante, afin qu’elle détermine son groupe d’appartenance. Sur la balance, les oiseaux mirent plus des biens d’un côté que de l’autre. Dès la première séance publique, au vu de ce qu’on lui offrait, la chauve-souris choisit son camp d’appartenance sans hésiter et sans état d’âme.

Si l’homme se découvre devant le danger, ses semblables découvrent aussi son sérieux devant un choix cornélien.

Les oiseaux volent et ne trahissent pas les autres oiseaux de leur espèce. Les rats courent et ne trahissent pas les autres rats de leur espèce. Les opposants sérieux restent dans l’opposition et ne trahissent pas la cause du peuple.

La tergiversation tue l’harmonie et la cohérence sociale

Celui qui a déjà trahi, trahira toujours, disait mon grand-père. Celui qui a déjà injurié les Congolais continuera toujours à le faire, en public ou en privé. Celui qui s’est prostitué une fois continuera. Celui qui a déjà choisi de soutenir un tyran continuera à se rapprocher de lui et à le soutenir, en public ou en privé. Chaque espèce a tendance à reconnaître les siens. La théorie de la sélection naturelle a été émise par Darwin selon laquelle « les individus les plus faibles ou les moins adaptés au milieu ont une plus faible probabilité de se reproduire par rapport aux individus adaptés. Il en résulte au fil des générations une sélection des individus adaptés et des caractères favorables à l’espèce, au détriment des autres ». De la même façon, les individus les moins cohérents sont plus aptes à trahir leurs semblables.

Avec la sélection naturelle de Darwin, on comprend la raison pour laquelle certains hommes choisissent d’être à gauche pendant que les autres vont à droite, on comprend aussi pourquoi les uns soutiennent la tyrannie et pour quelle raison les autres s’opposent. Au milieu, entre les deux camps, se trouvent des chauves-souris qui, apparemment, sont sans position mais qui, en réalité, savent clairement de quel côté ils sont ou à quel camp ils appartiennent. Quand vient le moment de choisir, ils choisissent sans état d’âme.

Une espèce de sélection naturelle s’opère à chaque étape de la vie. Une espèce de sélection naturelle s’opère aussi dans le camp de l’opposition congolaise. Ceux qui ne s’y retrouvent pas, quittent vite ce camp qui ne leur offre rien, comme un enfant qui quitte ses parents parce qu’ils sont pauvres. Doit-on avoir de la considération pour un tel enfant ?

 Demain, la République reconnaîtra les siens

 La longue crise congolaise a permis au peuple non seulement de découvrir l’origine des hommes qui habitent sur son territoire mais en plus de savoir de quel côté penche leur préférence et pour qui ils travaillent. Après avoir tant embrouillé l’esprit des Congolais, le masque finit par tomber. Oui. La sélection se fait naturellement, progressivement. Les moins cohérents suivent leur maître, sans état d’âme et ils ont des arguments pour justifier leur choix circonstanciel.

On ne sert que les intérêts de celui qui vous ressemble. Un peu à l’image des oiseaux, on ne choisit que le camp de ses semblables.

Dans notre pays, il y a des gens qui ont pris l’habitude de cultiver le flou et qui sont incapables de rester longtemps dans l’opposition et de garder une certaine cohérence dans leur prise de position. Ils ont besoin d’un poste politique pour survivre. Peu importe s’ils se contredisent. Ces personnes utilisent l’opposition pour assurer leur propre ascension. Ce qui compte pour eux, c’est le pouvoir et le pouvoir par tous les moyens, même s’il faut trahir ceux qui ont cru en eux pendant un moment. Comme un agneau, le peuple les observe agir. C’est leur tour aujourd’hui, mais demain, ce sera le tour du peuple de réagir. Et ce sera sans pitié, nous dit-on. Oui, demain, la République reconnaîtra les siens et écartera les traîtres du chemin.

Pour l’amour du Congo, nous irons jusqu’au bout sans jamais changer de camp et sans trahir. Patrice Lumumba nous tient par la main pour nous montrer le chemin.
La longue crise a servi à la République de reconnaître les siens. Tenez bon. La porte d’entrée du paradis est par ici, celle de l’enfer – choisie par les plus pressés – est par-là. Demain, il fera beau. C’est promis et nous reconstruirons la République. Sans eux.

Gardez les archives. Ne les détruisez pas, car sur cette base, ceux-là nous rendront des comptes. Demain, lorsque le soleil se lèvera. Oui, demain.

La nationalité congolaise banalisée

1 Juin

Lorsque Bisengimana était directeur de Cabinet de Mobutu, la loi sur la nationalité qu’il avait élargie aux siens fut l’acte juridique le plus important dans lequel il s’était identifié. Heureusement, les Congolais ont fini par abroger cet acte. Pourquoi Bisengimana a-t-il agi ainsi ? Pour quelle raison a-t-il accordé tant d’importance à la question de la nationalité ?

Le terme « nationalité » se trouve dans « Nation ». La nation crée la nationalité et, inversement, c’est la nationalité qui donne sens à la nation. Chaque territoire est habité par les nationaux (nationalité) et les étrangers. Pour le dire autrement, sans les nations, la nationalité n’existerait pas et inversement, sans la nationalité, les nations existeraient pas. En le disant, je voudrais inviter mes compatriotes, tant ceux du pays que ceux de l’extérieur, de se dresser contre tout individu qui banalise la question de la nationalité. Le président Laurent-Désiré Kabila l’a fait, et le résultat est excessivement atroce : Nkunda Batware, Ntaganda et consorts entrent et sortent du Congo comme ils veulent, un étranger du nom de James Kabarebe a été chef d’Etat-major de l’armée congolaise, Kagame dirige le Congo à distance, plus de six millions de morts, les femmes congolaises sont violées à l’Est, les ressources naturelles du Congo sont pillées au vu et au su de tout le monde, les Congolais sont violentés (des images insoutenables circulent sur le net), etc. Les Congolais sont aujourd’hui ridiculisés, traités de « bornés » sur la place publique, etc.

Une simple carte d’électeur a remplacé la carte pour citoyen. Pire, cette carte d’électeur a été établie sur la base d’un simple témoignage de deux témoins, sans autre vérification sérieuse. Il a suffi qu’un étranger se présente à un bureau accompagné de deux étrangers qui prétendent être Congolais et qui reconnaissent la troisième personne comme étant de nationalité congolaise. Ainsi, par un tour de passe-passe, les trois individus étrangers devenaient des Congolais. Hier, la carte pour citoyen était vendue dans les bureaux de commune comme on vend des beignets au marché, les passeports étaient vendus à quiconque présentait quelques billets verts. Aujourd’hui, des étrangers sont devenus Congolais sans suivre aucune procédure d’acquisition de notre nationalité. Certains parmi eux sont devenus des députés, d’autres sont à la tête de nos Institutions. Le Congo est tombé bas, très bas. Nous devons avoir collectivement honte et nous mettre à réparer notre grosse erreur.

La  porosité de nos frontières a été renforcée depuis la guerre menée par les troupes de l’AFDL. Depuis cette période, le Rwanda et l’Ouganda ont compris que nos frontières sont des passoires (parce que le maréchal Mobutu a détruit l’armée nationale à la fin de son règne) et qu’ils peuvent tranquillement piller nos ressources naturelles avec la complicité des puissances et des firmes transnationales qui les soutiennent. Notre humiliation est à présent totale. Nous avons perdu notre dignité en tant que nation souveraine.

A chaque étape de notre vie commune, nous devons continuellement être capables de déjouer tous les pièges que les étrangers nous tendent pour nous dominer avec la complicité de nos propres compatriotes trop cupides et trop enclins à l’argent facile. Il a toujours été ainsi depuis la colonisation du très criminel roi des Belges Léopold II qui s’était approprié, à titre personnel, ce très grand espace qui est devenu notre pays. Il massacra plus de dix millions de Congolais pour s’enrichir et enrichir sa Belgique. Le génocide qu’il a commis dans notre pays est resté impuni jusqu’à ce jour. Le matabiche pratiqué par les colons pour obtenir la collaboration et la soumission des nègres s’est mué en corruption et nous joue aujourd’hui des tours pernicieux. Nos « intellectuels » sont achetés par des moins compétents qu’eux. Ils rédigent des lois non  pas selon la volonté du peuple mais selon le désir du pouvoir tyrannique. Dans cet ordre, la Constitution a été révisée et une nouvelle loi électorale a été imposée aux Congolais. Cela a conduit aux fraudes électorales organisées par la CENI et entérinées par la Cour suprême de justice. Quel modèle de société sommes-nous en train de léguer aux générations futures ? Comment allons-nous punir les fautifs si le pouvoir étatique est lui-même à l’origine de l’impunité ? Ceci arrive dans une nation lorsque le peuple n’accorde aucune importance à l’origine (nationalité et parcours de vie) des personnes qui sont appelées à gouverner la République.

Apprenons à déjouer les stratégies des hommes et des femmes qui cherchent à occuper les postes politiques de haute responsabilité et qui tentent de nous séduire en nous faisant croire qu’ils sont effectivement des Congolais mais dont nous ne sommes pas sûrs à 100 % de leur appartenance à nationalité congolaise. Faisons très attention car il n’y a pas que les personnes à la nationalité douteuse qui trahissent le Congo. Ils sont aussi nombreux, nos propres compatriotes, devenus cupides, malléables à l’argent, qui se laissent corrompre ou qui détournent les deniers publics. Nous devons mettre la question de la nationalité, la lutte contre l’impunité et le recours à la gouvernance au centre la République. Toutes les formes d’abus et de corruption doivent être régulièrement dénoncées. C’est l’unique façon de redresser la pente.

Si un jour le peuple congolais nous confie une parcelle de responsabilité, nous mettrons de l’ordre dans la maison en matière de nationalité, en remontant les grandes familles qui habitaient à l’intérieur de notre espace national depuis l’accession du Congo à l’indépendance. L’Informatique permet un tel travail fastidieux. Personne ne sera refoulé hors du territoire à part les indésirables, ceux qui ont tué et violé et ceux qui ont trahi la République. Le Congo est immense et notre pays doit être davantage habité mais nous n’accepterons jamais des personnes qui viennent au Congo pour semer la désolation et nous ridiculiser.

Désormais, quelle que soit notre appartenance partisane (majoritaire ou minoritaire, gauche/droite ou centre), nous devons constamment être unis lorsqu’il s’agit de défendre la nationalité congolaise et les questions concernant la sécurité de notre nation.

Un lourd soupçon doit peser sur chaque individu qui traite à la légère la question de la nationalité. Nous ne devons plus accepter qu’un individu traite les Congolais avec mépris ou qu’un étranger gouverne le Congo. Que l’expérience actuelle soit la toute dernière dans la vie de notre nation !

Sur ce sujet, lire Fweley Diangitukwa, « Lettre à tous les Congolais. Savoir gouverner et servir la République », Editions Afrique Nouvelle, 2003 ; – « Stratégies pour la conquête, l’exercice et la conservation du pouvoir », Saint-Légier (Suisse), Afrique Nouvelle, 2011, 236 pages.