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50 ans des indépendances africaines : quel bilan ?

10 Juin

Conférence : 50 ans des indépendances africaines : quel bilan ?

Par Fweley Diangitukwa, Dr en sciences économiques et sociales, mention : science politiques (Université de Genève)

L’année 1960 est la date symbolique pour l’accession des anciennes colonies à l’indépendance, c’est-à-dire à la souveraineté nationale. Cette indépendance a suscité beaucoup d’espoir de la part des nationaux qui ont cru que les nouveaux dirigeants construiraient des Etats viables en misant sur leur développement. Q’en est-il 50 ans après cette date ?

Il est important de dire d’emblée que depuis sa rencontre avec l’Occident, le pouvoir en Afrique n’a plus jamais été une propriété exclusive des Africains car depuis l’indépendance des Etats africains, la plupart des chefs d’Etat dirigent par procuration. Ceux qui n’obéissent pas aux injonctions venues d’ailleurs sont simplement assassinés. L’Afrique est le continent qui connaît le plus grand nombre des chefs d’Etats tués pendant l’exercice de leurs fonctions. Puisque la naissance de l’Etat en Afrique est le fait des puissances étrangères, seuls les dirigeants qui acceptent de jouer aux marionnettes à la solde des puissances dominantes restent longtemps au pouvoir. Si on n’a pas compris ce qui s’est passé pendant la colonisation, on ne peut pas comprendre l’Afrique d’aujourd’hui ni la source de sa misère, car le passé colonial a eu une lourde influence sur l’avenir des nations. D’où la nécessité de ressasser le passé afin de comprendre le présent. L’observation du parcours suivi par la plupart des Etats africains montre que la période coloniale a déterminé sinon conditionné le comportement des leaders et des nationaux dans le choix et les orientations de la période postcoloniale. Il est difficile de se démarquer du modèle colonial qui a marqué et traumatisé la conscience des gens. A l’indépendance, les pays coloniaux ont rapidement placé au pouvoir des leaders qui ont donné aux anciennes puissances toute la liberté de continuer à influencer le cours de l’histoire politique dans chaque pays. Et là où des leaders nationalistes avaient des velléités pour changer le destin du pays, les grandes puissances, en entente avec quelques nationaux, s’organisaient pour assassiner les leaders qui s’éloignaient de l’idéal poursuivi par les anciennes puissances coloniales ; dans le cas contraire, le pays nouvellement indépendant tombait dans une guerre meurtrière qui ne pouvait être stoppée qu’avec l’appui des mêmes anciennes puissances coloniales. Sans négliger la responsabilité des Africains eux-mêmes, les legs coloniaux sont en grande partie responsables du malheur africain parce qu’en 1960, les anciennes puissances n’étaient pas prêts à accorder l’indépendance aux Africains. Elles l’ont fait du bout des lèvres tout en montant des stratégies leur permettant de récupérer rapidement la situation : le théâtre congolais est l’illustration de cette réalité.

50 ans après l’indépendance des nations africaines, les séquelles laissées par le colonialisme sont toujours là : les frontières (découpage du continent par l’Europe suivant ses propres intérêts) sont toujours intactes et l’intégration des Etats peine à voir le jour. L’imposition des frontières a conduit à la séparation des peuples de même culture dans deux, voire trois ou quatre nouveaux Etats. A cela s’ajoute la formation d’Etats aux formes géographiques parfois risibles. Des petits Etats dont la viabilité économique est douteuse coexistent à côté des Etats très vastes qui sont devenus presque ingouvernables comme la République démocratique du Congo, le Soudan ou encore le Nigeria.

Sous la colonisation, les puissances coloniales s’étaient appuyées sur des groupes ethniques pour diriger leurs colonies. Elles s’inscrivaient naturellement dans la logique politique de diviser pour régner. Le manque de cohésion dans la formation des Etats et le fait de s’appuyer sur un groupe ethnique pour mettre la main sur les nouveaux Etats afin de continuer à gouverner les nouveaux Etats à distance ont fait développer la proéminence de l’ethnicité dans la compétition politique pour le contrôle des ressources dans la plupart des pays africains. Il a été démontré que « l’ethnicité en Afrique, loin d’être ‘primordiale’, avait été créée ou, tout au moins, implantée par les stratégies coloniales de division […] les chercheurs s’accordent en général pour dire que c’est davantage depuis le régime colonial qu’avant celui-ci que l’ethnicité a été un principe d’association politique et de conflit »[1]. Les nouveaux dirigeants, imitant les pratiques coloniales, ont renforcé cette tendance en manipulant les traditions. Le chef de l’Etat et les membres du gouvernement ont tendance à s’appuyer sur les membres de leur ethnie.

Dans certains pays, comme le Zimbabwe et l’Afrique du Sud, les terres arables appartiennent toujours aux familles des colons qui les avaient arrachées des autochtones. Les anciennes colonies sont toujours exploitées à outrance. Comme sous l’époque coloniale, l’Afrique est toujours recherchée pour ses matières premières qu’elle exporte à l’état brut. Certains pays sont encore dans la monoculture et peinent à diversifier leurs produits destinés à l’exportation. L’Afrique est situé loin des centres boursiers et les prix des produits africains sont toujours déterminés à l’étranger par les anciens colons : Londres, Paris, New York, etc.

50 ans après l’indépendance, l’agriculture est toujours non mécanisée et non subventionnée par l’Etat. Ainsi, la production par personne employée en Afrique subsaharienne est la plus basse de toutes les grandes régions du monde[2]. Dans les anciennes colonies françaises, c’est le statu quo en matière monétaire. L’abréviation « CFA » qui signifiait sous la colonisation « Comptoirs (d’esclaves) français d’Afrique a évolué en devenant « communauté française d’Afrique » ou……….. Le franc, qui est toujours sous contrôle de l’Etat français, relativise la souveraineté des Etats qui utilisent cette monnaie. De l’indépendance à nos jours[3], le contrôle de la zone franc est une preuve que la France a gardé une mainmise sur ses anciennes colonies. Le contrôle des anciennes colonies françaises par le biais de la monnaie est renforcée davantage par la présence des soldats français. En effet, l’Afrique francophone est restée sous tutelle militaire française, avec la présence des bases militaires françaises dans plusieurs pays, notamment au Tchad, au Gabon, en République centrafricaine, au Sénégal, à Djibouti, en Côte d’Ivoire[4] avant et pendant la guerre, alors que la Grande-Bretagne a vite décidé de cesser d’autoriser l’intervention militaire dans ces anciennes colonies. L’intervention militaire britannique en Sierra Leone en mai 2000 est à considérer comme une exception.

L’Afrique est toujours un continent envié par l’Occident et par les nouveaux pays émergents comme la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Brésil, etc. Après une courte disparition, la Russie a renoué ses relations économiques avec l’Afrique. Gazprom a maintenant accès aux ressources gazières du Nigeria, Abrosa au diamant en Angola et Rusol à l’aluminium au Nigeria et en Guinée. Le Japon a renforcé ses liens avec l’Afrique en devenant le premier donateur sur le continent africain contre l’acquisition des ressources naturelles.

L’Afrique qui a été saignée à blanc est toujours pillée

A part quelques cas des pays qui sortent de la liste des PMA (pays les moins avancés) comme le Botswana[5], le Ghana, ce sont les pays africains qui composent en gros la liste des PMA. D’après Acemoglu, Simon Johnson et Robinson, « la pauvreté relative de l’Afrique à la fin du XXe siècle résultait essentiellement de la forme prise par le colonialisme européen sur le continent, c’est-à-dire l’installation d’Européens à des fins d’extraction »[6]. L’extraction coloniale s’est manifestée, dans les colonies de peuplement, de plantation et parfois dans les colonies d’exploitation, par « l’appropriation de la terre au profit des colons européens ou des plantations européennes, dans une stratégie mise en œuvre non seulement pour donner aux investisseurs et aux colons européens un contrôle sûr et peu cher sur la terre, mais aussi pour obliger les Africains à vendre leur travail aux agriculteurs, aux planteurs et aux propriétaires des mines européens »[7].

L’enrichissement rapide et illicite a conduit les colons à couper les bras des récalcitrants africains comme l’illustre clairement le cas du Congo sous Léopold II. Les administrations coloniales procédaient à un recrutement coercitif de la main-d’œuvre. Elles pratiquaient clairement le travail forcé mais elles n’ont jamais été condamnés, même au moment où les Nations Unies ont déclaré que « tous les hommes sont nés libres ». Cette politique particulière – la corvée[8], et son utilisation au profit des planteurs blancs plutôt qu’au bénéfice des agriculteurs africains – a fait perdre l’amour du travail aux Africains qui considèrent encore le travail comme une corvée. Le passé a ainsi rattrapé le présent. Les familles des victimes et les Etats africains n’ont jamais été dédommagés. L’Afrique a toujours été exploitée sans qu’il y ait un investissement durable. Pendant la colonisation, le coût de la main-d’œuvre noire était très bas. Cela n’a pas permis aux Africains de se développer par la constitution d’une épargne conduisant à l’investissement. Aujourd’hui encore, 50 ans après l’indépendance, le coût de la main-d’œuvre africaine, en Afrique et en Europe, est bas. En Occident, les Africains occupent souvent les emplois peu qualifiés, les emplois qualifiés étant prioritairement réservés aux nationaux et aux Européens. En tout cas, la colonisation a été un frein, et non un moteur, pour le développement de l’économie africaine. Le pillage de l’Afrique qui a commencé par les Etats coloniaux et par les colons eux-mêmes a été poursuivi par les nouveaux dirigeants. En Afrique, c’est l’Etat qui enrichit l’homme politique. L’homme ambitieux cherche à s’emparer du pouvoir dans l’unique but de s’enrichir, d’enrichir sa famille et non de servir la nation. Ce modèle-là vient sans contestation de l’Etat colonial où le colon allait en Afrique pour s’enrichir et pour enrichir son pays. La logique est restée la même. Ici encore, le passé a rattrapé le présent. De ce point de vue, il est rare de trouver en Afrique des perspectives positives sur le système colonial. Il est important de le rappeler parce que cela a eu un impact certain sur l’avenir du continent. D’après Jean-François Bayart, « les élites africaines ont été clientes des Etats coloniaux ou métropolitains »[9]. C’est donc dans la théorie de la dépendance qu’il faut lire l’histoire actuelle des Etats africains en ce sens que la théorie de la dépendance souligne la primauté de l’action étrangère dans la détermination des évolutions historiques. Dans cette théorie, les pays de la périphérie connaissent un blocage de l’accumulation et un échange inégal.

L’extraversion et la monoculture pratiquées dans les économies africaines sont des signes épatants de la victoire des intérêts coloniaux sur les intérêts des Etats africains. Là où les anciennes puissances ou leurs firmes ne trouvent pas leur compte, elles ont tendance à régler leur mécontentement par les conflits armés. Par exemple, au Nigeria, « l’attitude du gouvernement britannique face à la sécession du Biafra était influencée par les intérêts des compagnies pétrolières britanniques »[10]. Or, ce qui s’est passé au Nigeria ressemble à la guerre qu’a connue la République démocratique du Congo avec la sécession du Katanga ainsi que la guerre en Angola où les firmes britanniques passaient par l’Afrique du Sud pour mettre la main sur la pactole minier de l’Angola.

L’argent volé en Afrique n’a jamais été restitué

Sous la colonisation, en Afrique occidentale britannique, les surplus substantiels accumulés par les offices publics d’exportation en imposant une marge importante entre les prix d’achat aux producteurs africains et les prix de vente sur le marché mondial étaient maintenus à Londres et n’ont jamais été restitués aux colonies lorsqu’elles sont devenues des Etats nominalement indépendants. On l’oublie souvent mais « les surplus étaient gardés à Londres en titres du gouvernement britannique, une épargne forcée des agriculteurs africains qui a aidé l’économie métropolitaine britannique à se relever de la pénurie de dollars de l’après-guerre »[11], de la même façon l’argent détourné par les tyrans et chefs d’Etat africains et placé en Occident n’a jamais été restitué aux Etats africains : le cas de l’argent détourné par Sani Abacha au Nigeria, par Mobutu au Congo-Kinshasa, par Bongo au Gabon en sont quelques exemples. Ce comportement mesquin et cynique de la part des pays occidentaux a été qualifié de vol par Michel Collon. Pour ce dernier, si l’Occident est riche, c’est grâce au vol. Il écrit : « Nous (Occidentaux) – ou plutôt : certains d’entre nous – sommes des voleurs, et c’est pour ça que nous sommes riches : voilà ce qu’on ne peut absolument pas dire dans les médias »[12]. L’Europe a volé l’Amérique et l’Afrique sans rien restituer. La Belgique, qui a volé la quasi totalité du patrimoine artistique congolais qui se trouve au Musée de Tervuren, n’a jamais pensé à le restituer à leurs propriétaires.

A propos de la formation, la colonisation n’a pas voulu investir dans la formation des Africains, car cela n’était pas le but, de sorte que les premières générations de leaders postcoloniaux ont dû investir abondamment dans l’éducation[13] afin de rattraper le retard, en formant une main-d’œuvre qualifiée pour faire fonctionner l’économie ; ils ont dû investir dans les infrastructures comme les routes et l’électricité négligées jadis par les colonisateurs. Ces investissements ont renforcé le retard pris par l’Afrique par rapport aux autres continents. En grandes lignes, il est permis d’affirmer que ces sont les ressources naturelles (pétrole[14], or, coltan, cassitérite, diamant, etc.), le choix des dirigeants (souvent mauvais et incompétents mais bons serviteurs des intérêts étrangers), les conflits et la mauvaise gouvernance[15] qui sont les principaux pièges qui retardent le développement de l’Afrique. Les autres pièces, comme l’ethnicité, la fuite des cerveaux, etc., viennent se greffer aux causes précitées. Ainsi, les pays qui sont les mieux dotés en ressources naturelles sont ceux qui sont les plus concernés par les conflits et par le mécontentement de la population (RD Congo avec l’est du pays, Angola avec le conflit au Cabinda, Nigeria avec le delta du Niger, Soudan avec Darfour, etc.). L’instabilité politique plonge le pays dans la pauvreté et facilite la mainmise étrangère sur les ressources du pays. La politique inadaptée aux réalités de chaque pays et la mauvaise gouvernance sont souvent la cause de la guerre civile.

La question du développement

La question principale à se poser sur le développement est celle de savoir : « d’où vient l’argent avec lequel la France et la Grande-Bretagne, mais aussi les institutions internationales, prétendent ‘aider’ l’Afrique à se développer et, parallèlement à cette question, il faut également se demander « pour quelle raison après tant d’années d’aide au développement, l’Afrique ne se développe toujours pas » ?

En France, on a tendance à oublier que le Ministère de la coopération est la suite normale du Ministère des colonies. Or, la France et la Grande-Bretagne n’ont jamais restitué l’argent volé en Afrique à travers le bénéfice réalisé avec le commerce, à travers les prêts que ces pays appellent cyniquement « aide », ou à travers l’argent volé en Afrique » et déposé dans les banques occidentales par les hommes politiques africains. De nombreux Etats occidentaux sont des receleurs. Mais qui va les condamner puisque les rapports de force sont en leur faveur.

En matière d’aide aux pays d’Afrique octroyée par la France, il est intéressant d’examiner l’origine et l’évolution de l’institution qui s’occupe de l’aide. L’actuelle « Agence française de développement » (AFD) trouve son origine pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1941, lorsque la France libre se dote d’une institution appelée Caisse centrale de la France libre (CCFL) pour financer ses activités (Trésor public et circulation monétaire) qui se tiennent sur des territoire divers, principalement en Afrique[16]. C’est donc les fonds de cette caisse, en provenance des colonies, qui sont utilisés pour contribuer à la formation de la politique de reconstruction outre-mer. « En janvier 1944, le général de Gaulle réunit les représentants de la France libre (essentiellement les responsables des colonies qui l’ont rallié) et se prononce en faveur d’une vision du développement qui associe les ressortissants des colonies. Son discours fonde le développement comme une richesse partagée, et l’aide comme une redistribution étendue en dehors du territoire national, sous l’égide de l’Etat »[17]. En comprenant ce message, on comprend aisément le but poursuivi par l’idéologie de l’aide qui est loin d’être une expression de bonne volonté mais plutôt un pur calcul économique rationnel. La France cherche à restituer, à travers l’aide aux colonies, la contribution de celles-ci à la libération de la France (cela n’a jamais été dit mais il est sous-entendu). En 1944, la caisse prend le nom de Caisse centrale de la France d’outre-mer (CCFOM), puis elle tend sa compétence au développement. En 1958, la CCFOM est devenue la Caisse Centrale de Coopération Economique (CCCE) puis, en 1992, Caisse française de développement (CFD) jusqu’en 1998 lorsqu’elle est devenue l’Agence française de développement (AFD). Donc, l’idée de l’aide est née avec cette volonté de restituer aux colonies, qui ont fourni des soldats à la France pour se libérer des l’occupation hitlérienne, une partie du bénéfice qu’elle a réalisé en Afrique par le pillage des colonies. On ne peut pas oublier que pendant la Seconde Guerre mondiale, les soldats africains envoyés en France étaient souvent exposés lors d’opérations difficiles. Ils servaient de chair à canon pour détecter l’ennemi. Les soldats africains ont payé un tribut très lourd et la France libre n’a indemnisé ni les familles des victimes ni les colonies qui ont mobilisé les forces. Il n’est donc pas étonnant que l’idée de l’aide soit venue de cette période macabre pour la France. Avec le temps, la Caisse Centrale de Coopération Economique (CCCE) deviendra également prêteur en récoltant l’épargne sur la scène internationale à un taux très bas et en prêtant aux pays africains à un taux très élevé. Le bénéfice entre le prix d’achat et le prix de vente de l’argent devenait une propriété de la Caisse.

En matière de développement, l’Afrique évolue encore sous une logique coloniale. Ce sont des institutions coloniales qui ont été relayées par les institutions de l’aide au développement. Alors, s’agit-il d’une générosité ? A travers l’aide au développement, les anciennes grandes puissances coloniales tiennent les Africains en laisse comme des chiens de compagnie parce que l’aide au développement est un moyen qui permet de restituer le surplus du bénéfice réalisé en Afrique et de contrôler l’évolution du continent. Cette aide s’inscrit dans la poursuite logique de l’idéologie coloniale qui consistait à apporter la civilisation aux « peuples sauvages ou aux peuples inférieurs ». Si l’on veut être brutal, on dira que l’aide est plus qu’une illusion. C’est un concept qui sert à fidéliser les esclaves d’hier. Elle est une manière de restituer le surplus de tout ce qui a été volé en Afrique depuis l’époque coloniale. Il s’agit d’un prétexte pour attirer des clients, pour promouvoir des produits made in France ou in England. Elle revient à remettre un billet de 100 francs à quelqu’un pour qu’il vous achète de la marchandise dont le prix a été majoré.

Dans son livre Le droit international du développement publié en 1978, Alain Pellet a écrit ce qui suit : « Le sous-développement des uns n’existe et ne s’explique que par le (sur-)développement des autres, qui s’en nourrit »[18]. Pour lui, « développement et sous-développement apparaissent comme des phénomènes évolutifs, liés l’un à l’autre et qui, dans une large mesure, s’expliquent l’un par l’autre »[19]. Pour François Perroux, c’est le « blocage de croissance », résultant de la domination des pays développés, qui explique le sous-développement. Pour cet économiste, « le sous-développement des uns serait alors la conséquence du développement des autres »[20]. Cette explication a été appuyée par d’autres économistes comme Samin Amir avec sa théorie de l’échange inégal qui maintient les pays en développement dans la production de produits de base (d’origine agricole et minière) et qui les condamne ainsi à servir de débouchés aux produits manufacturés des pays industrialisés.

Pendant la guerre froide, l’aide a été un moyen d’influence respectif du côté occidental comme du côté soviétique. Chacun voulait garder ses « clients »[21]. En général, l’aide publique au développement (APD) permet, aux anciennes puissances coloniales et aux pays développés, de garder des liens étroits avec les anciennes colonies, d’accéder aux ressources naturelles, d’être présents sur des marchés protégés, etc. Elle est aussi un prétexte pour le rayonnement culturel (défense de la langue et de la culture : française, anglaise, portugaise ou espagnole). Un petit pourcentage sert à partager une solidarité déclarée avec les pays pauvres pour réduire les écarts de développement afin que les peuples exploités ne meurent pas de faim et ne se révoltent pas massivement contre le système capitaliste.

Poursuivant la logique « civilisatrice », les mêmes anciens colonisateurs veulent apporter le développement aux peuples sous-développés mais, pour cela, les peuples dits civilisés doivent piller préalablement et sauvagement les peuples jugés non civilisés avant de leur apporter la civilisation. Si on fonde son raisonnement sur cette logique, qui sont civilisés et qui ne les sont pas ?

Les anciennes puissances coloniales sont incapables de se débarrasser de l’exploitation des ressources naturelles dans les anciennes colonies et de se séparer définitivement du pacte colonial[22] de dépendance parce qu’il n’y a pas de matières premières dans leurs propres pays pour faire fonctionner leurs industries ou parce qu’elles ont déjà épuisé les matières premières qui se trouvaient dans leur sous-sol. En Afrique, les firmes étrangères font tout ce qu’elles peuvent, jusqu’à commettre des crimes, pour consolider, élargir et maintenir leurs privilèges acquis sous la domination coloniale ou avec la complicité des dirigeants. Les grandes puissances coloniales et les firmes des pays industrialisés ne sont donc pas étrangers aux souffrances actuelles des Africains.

50 ans après l’indépendance, l’Afrique s’inscrit toujours dans la logique de continuité coloniale. L’héritage de la colonisation se manifeste dans le maintien des langues coloniales, dans le système institutionnel et juridique (voir l’influence de la Constitution de la Ve République française dans l’organisation et dans le fonctionnement du pouvoir en Afrique), dans le maintien des clubs internationaux comme le Commonwealth (principe d’allégeance à la couronne britannique), les sommets France-Afrique[23], la Francophonie (principe d’allégeance à la France), des groupes informels comme le club de Paris et dans l’aide dirigée vers les anciennes colonies. Dans beaucoup de domaines, l’indépendance africaine est purement formelle parce que les anciennes puissances coloniales conservent leurs principales prérogatives, notamment par le contrôle de la monnaie, dans la formation de l’élite du pouvoir, dans la formation de l’élite militaire (la France maintient des bases militaires en Afrique), par l’aide liée et la coopération bilatérale, par l’entretien de la dette jamais éteinte de la part des prêteurs. Ainsi, lors de la décolonisation, la sélection des dirigeants africains a été rigoureuse. Sur cet aspect, Bancel a écrit en 2002 : « Tout est en place pour que se poursuive une politique fondée sur la connivence entre les élites de première génération à présent au pouvoir et es autorités métropolitaines, qui conditionne, au-delà des indépendances, la poursuite sous d’autres formes du projet colonial »[24]. C’est dans ce cadre particulier que s’inscrit la Françafrique.

Le concept de tiers-monde est né en 1952 sous la plume d’Alfred Sauvy. Il a ensuite été repris en 1956 par Georges Balandier. Puis, les pays « non alignés »[25] s’en sont emparés.

La convoitise de nouveaux acteurs

L’Afrique est le seul continent qui ne va pas à la conquête des autres continents. 50 ans après l’indépendance, l’Afrique travaille toujours pour le développement de l’Occident et/ou pour le développement des Etats se trouvant en dehors du contient : le cas de la Chine en est un exemple.

Si la convoitise des ressources naturelles était la cause de la colonisation, 50 ans après l’indépendance, l’Afrique demeure toujours un continent convoité par les anciennes puissances coloniales et par les pays émergents pour ses ressources naturelles. On note, depuis le début de XXIe siècle, « un appétit grandissant des pays émergents pour les ressources minières et pétrolières, et même pour les terres arables africaines. L’Afrique est désormais convoitée par les puissances émergents mais également par les puissances industrielles pour ses ressources (biodiversité, forêts, hydrocarbures, mines, terres arables) et pour un marché qui de 900 millions de personnes en 2010, doit en atteindre 2 milliards en 2050 »[26]. Les pays asiatiques, notamment la Chine, le Japon, l’Inde, l’Indonésie convoitent l’Afrique pour avoir accès aux matières premières et asseoir la présence de leurs firmes. Ces pays entretiennent des relations principalement utilitaristes. Malgré toutes ses convoitises, le rôle de l’Afrique dans la division internationale du travail n’a pas changé. Elle reste un pourvoyeur ou un exportateur des matières premières vendues à l’état brut. Elle doit vendre des quantités considérables pour importer des produits manufacturés et des services. Certains pays, comme le Gabon, importe des produits alimentaires comme la pomme de terre, la tomate, etc. qui pourraient pourtant être produits localement.

De 1960 à 2010, les dirigeants qui ont gouverné les Etats en Afrique ont été formés à l’école occidentale. Ils ont défendu les intérêts des pays qui les ont formés. Aujourd’hui, la plupart des d’Afrique sont dirigés par des chefs d’Etat corrompus et sanguinaires, qui n’osent pas revendiqué la souveraineté nationale, car ils gouvernent la protection des grandes puissances. Le résultat est globalement négatif, car l’Afrique s’inscrit encore dans la logique de continuité du passé et c’est là que se trouve la cause de son échec.

Conclusion

Avec un bilan largement négatif, faut-il fêter les 50 ans d’indépendance africaine ? La réponse est NON car l’Afrique n’a rien gagné pour justifier la raison de fêter ce demi siècle de domination et de soumission. En revanche, les Etats qui dominent l’Afrique et les Africains et qui exploitent et qui pillent les ressources naturelles ont toutes les raisons de manifester publiquement leur joie en organisant des parades, des défilés, des danses et des conférences publiques parce que l’évolution de l’Afrique s’inscrit dans la poursuite de leur plan arrêté à Berlin en 1885 et au lendemain des indépendances africaines.

Pour l’Afrique, ces 50 ans d’indépendance doivent servir d’une expérience pour réfléchir aux voies et moyens de mener un nouveau combat pour une nouvelle indépendance ou plutôt pour une autre indépendance de l’Afrique.

J’ai dit, je vous remercie.


[1] « Afrique : 50 ans d’indépendance », Revue internationale de politique de développement, Poldev 2010, no 1, publiée par The Graduate institute/Geneva, mars 2010, p. 30.

[2] Ibid., p. 13.

[3] Le maintien de la zone franc relativise la souveraineté des Etats africains. En janvier 1994, sous le gouvernement de Balladur, le franc CFA a été dévalué. Chose curieuse, cette dévaluation a eu lieu au lendemain de la mort de Houphouët-Boigny en janvier 1994.

[4] En 2008, il y avait 6000 hommes en Côtes d’Ivoire, à Djibouti, au Gabon, au Sénégal et au Tchad, 900 miliaires dans l’opération Licorne et 2100 hommes de la Force européenne au Tchad et en République centrafricaine  (EUFOR Tchad/RDA).

[5] Le Botswana est devenu un pays modèle en matière de gouvernance probablement parce que ce pays n’a pas bénéficié du legs institutionnel caractéristique des colonies et aussi parce que les Britanniques n’ont pas cherché à abolir les structures et les dynasties qu’ils ont trouvées en Afrique justement dans des pays comme le Botswana, le Lesotho, là où les Français l’ont fait dans leurs colonies comme au Dahomey, actuel Bénin. Le Botswana est l’un des rares pays africains qui ont échappé aux pires tendances extractives.

[6] « Afrique : 50 ans d’indépendance », Revue internationale de politique de développement, Poldev 2010, no 1, op. cit., p. 14.

[7] Ibid., p. 14.

[8] Sans une telle intervention coercitive sur le marché du travail, la majorité des mines du Katanga au Congo belge et les mines d’Afrique du Sud n’auraient pas été rentables jusqu’à la fin de l’étalon-or en 1932. Dans cette même logique, dans les colonies de peuplement, les Africains ne pouvaient plus exploiter leurs propres terres qui appartenaient désormais aux Européens sinon en tant que ouvriers au service des fermiers blancs, mais pas comme métayers. Les terres cultivables étaient de moins en moins nombreuses dans les régions laissées aux Africains.

[9] « Afrique : 50 ans d’indépendance », Revue internationale de politique de développement, Poldev 2010, no 1, op. cit., pp. 15-16.

[10] Chibuika Uche, « Oil, British interest and the Nigerian civil war »,. Journal of African History, 2008, 49 (1): 111-135.

[11] « Afrique : 50 ans d’indépendance », Revue internationale de politique de développement, Poldev 2010, no 1, op. cit., p. 18.

[12] Michel Collon, Bush le cyclone, éd. Oser dire, 2005, p. 16.

[13] La formation donnée aux Africains répond prioritairement aux modèles et aux attentes de l’Occident.

[14] « Le Nigeria est sans doute l’exemple africain le plus remarquable d’un pays qui n’a connu aucune augmentation de ses revenus après la découverte de pétrole et dont la mauvaise gouvernance lui vaut la 121e place sur 180 pays dans l’indice de perception de la corruption 2008 de Transparency International », « Afrique : 50 ans d’indépendance », Revue internationale de politique de développement, Poldev 2010, no 1, op. cit., p. 52.

[15] Les recettes des matières premières servent principalement à l’entretien de l’élite au pouvoir. Les gouvernements n’utilisent pas ces recettes pour améliorer les infrastructures et accroître les revenus des travailleurs et des sans emploi.

[16] « Afrique : 50 ans d’indépendance », Revue internationale de politique de développement, Poldev 2010, no 1, op. cit., p. 58.

[17]

[18] Alain Pellet, Le droit international du développement, Paris, PUF, 1978.

[19] Ibid., p. 3.

[20] Jean-Yves Capui & Olivier Garnier, Dictionnaire d’économie et de sciences sociales, Paris, Hatier, avril 1993, p. 123.

[21] Les relations de clientélisme se lisent entre autres dans les voix apportées par les pays francophones aux Nations unies pour soutenir les pays occidentaux.

[22] De 1957 à 1962, des accords de coopération couvrant tous les domaines (politique, militaire, technique) ont été signées entre la France et ses anciennes colonies.

[23] Les sommets France-Afrique ont été initié par les présidents nigérien Hamani Diori et sénégalais Léopold Sédar Senghor. D’abord réservés aux pays africains francophones, ces sommets se sont ensuite dès 1976 ouverts aux pays lusophones. A partir de 1981, pour camoufler la préséance française (ou plutôt l’étiquette coloniale), ces sommets sont dénommés « conférences de chefs d’Etat ».

[24] N. Bancel, « La voie étroite : la sélection des dirigeants africains lors de la transition vers la décolonisation », in Mouvements, no 21-22 : 26-40, 2002.

[25] Le mouvement des pays non alignés s’est constitué à la Conférence de Bandung, en Indonésie en 1955, sous l’invitation de la Birmanie, Ceyland (actuel Sri Lanka), Inde, Indonésie et Pakistan. Après Bandung, le premier sommet du mouvement s’est tenu en 1961 au Caire.

[26] « Afrique : 50 ans d’indépendance », Revue internationale de politique de développement, Poldev 2010, no 1, op. cit., p. 102.